Photo : Mélanges en l’honneur de Jean Charpentier (avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)
JEAN CHARPENTIER
(1928-2020)
Né en 1928, Jean Charpentier a fait ses études à la Faculté de droit de Toulouse. Il a été assistant à Paris (1954-1956) puis chargé de cours à Nancy (1956-1958). Sous la direction de la professeure Suzanne Bastid, il est devenu docteur en droit en 1956 avec une thèse restée célèbre sur « La reconnaissance internationale et l’évolution du droit des gens ». Il a obtenu l’agrégation de droit public en 1958.
Nommé professeur à la Faculté de droit d’Alger, dans une période troublée entre 1958-1960, il y rencontre Jacques Robert (qui deviendra président de l’Université Panthéon-Assas, et membre du Conseil constitutionnel), avec lequel il devient ami. Dans les Mélanges en l’honneur de Jean Charpentier, son ami estime que, face au contexte particulier de son arrivée à Alger, « comme son tempérament s’y prêtait, il envisagea prudemment et sereinement la situation particulière dans laquelle il se trouvait et sans se laisser influencer par toutes les pressions qui, alors, s’exerçaient sur tous, il maintint, dans un climat troublé, le cap d’une modération de bon aloi. Rien n’était plus éloigné de lui que l’exagération, l’outrance, la désinvolture, le fanatisme ».
En poste à l’Université des sciences sociales de Grenoble entre 1961 et 1972, il rejoint à cette dernière date la faculté de droit de Nancy où il restera jusqu’à sa retraite. Il y a enseigné pendant de nombreuses années les relations et/ou institutions internationales. C’est dans les années 1980, à la retraite de Charles Chaumont, son prédécesseur, qu’il a repris le cours de droit international public et qu’il l’a conservé jusqu’à sa propre retraite en 1993. Il a suivi, toujours avec une grande humanité, de nombreux étudiants en doctorat.
Une grande particularité de Charpentier est d’avoir été un spécialiste tant du droit international public que du droit de l’Union européenne. En 1985, il a pris la direction du Centre européen universitaire de Nancy dont il est resté le directeur jusqu’en 1993.
Un « généraliste » de droit international public
Sa thèse sur la reconnaissance internationale a fait date. Il y analyse longuement, d’une part l’opposabilité de la reconnaissance en différenciant les hypothèses d’opposabilité de celles d’inopposabilité, et d’autre part, la reconnaissance à travers l’acte de reconnaissance en général puis l’acte discrétionnaire de reconnaissance. Il insiste également sur « la reconnaissance de belligérance qui intervient lorsqu’une guerre civile a atteint des proportions telles qu’elle risque de donner naissance à un Etat nouveau ou à gouvernement de fait » (p. 3). Comme il l’écrit dans une publication postérieure, la reconnaissance a pour fonction « d’assurer la sécurité des relations internationales ».
On doit également à Charpentier une longue et importante contribution à l’Annuaire français de droit international (AFDI) pour lequel il a non seulement rédigé près d’une soixantaine de textes depuis sa création en 1955 jusqu’après sa retraite en 1993, dont la fameuse chronique sur la « Pratique française de droit international », inaugurée dès le premier numéro de l’Annuaire (où il est précisé que la « rubrique a pour objet de présenter la position juridique du Gouvernement français sur les problèmes internationaux actuels, telle qu’elle ressort des textes et des informations accessibles au public, mais de consultation difficile »). Charpentier est également l’auteur d’études sur des sujets très divers, allant du commentaire de décisions juridictionnelles internationales (les deux arrêts dans l’affaire de la Barcelona Traction ou l’affaire du Rainbow Warrior) à des articles intéressant la justice pénale internationale, voire l’utilité du droit international !
Son cours professé à l’Académie de droit international de La Haye a porté sur « Le contrôle par les organisations internationales de l’exécution des obligations des Etats ». Il y analyse de manière détaillée tous les aspects relevant de ce lien si particulier entre Etats et organisations internationales et relève la contradiction que soulève un tel contrôle vis-à-vis de la souveraineté des Etats.
Très impliqué au sein de la SFDI dès sa création, il a organisé trois de ses manifestations annuelles. Ainsi de la « Troisième journée d’étude » (intitulé initial) de la Société à Grenoble, en 1970, sur « L’application du droit international par le juge français ». Si la journée n’a pas donné lieu à une publication de la SFDI – la publication systématique de ses manifestations aux Editions A. Pedone se fera ultérieurement – on en trouve trace dans un ouvrage paru en 1972 (P. Reuter, A. Blondeau, N. Questiaux, L. Dubouis, D. Ruzié, L’application du droit international par le juge français, Armand Colin, 1972). Dans sa préface, Charpentier regrette le peu de connaissances des juges français en matière de droit international public, mais aussi les problèmes d’accessibilité des textes conventionnels ou « communautaires ». Charpentier organisera à Nancy deux autres colloques sur « L’Europe dans les relations internationales – Unité et diversité » (1981) et sur « L’Etat souverain à l’aube du XXIème siècle » (1993). Ces différents thèmes portent la marque de l’inclination de Charpentier pour le droit européen.
Un fin analyste du droit européen
Charpentier est en effet un fin analyste du droit européen. Dès la fin des années 1970, sa bibliographie s’étoffe de sujets nouveaux touchant au développement de ce champ normatif. Un de ses premiers articles dans ce domaine concerne ainsi l’émergence d’un « espace judiciaire européen ». Il sera suivi d’autres contributions variées concernant la coopération politique en Europe (1985), l’histoire de la construction européenne (1992), ou encore la personnalité juridique de l’Union (1995).
Charpentier était un professeur exigeant, respectueux de tous, dont les apports au droit international et au droit européen sont notables. Dans l’un de ces derniers écrits, il estime que « le phénomène de la mondialisation, tout comme la prise de conscience de plus en plus répandue chez les gouvernants de la nécessité de résoudre en commun des problèmes de plus en plus nombreux et de promouvoir des valeurs de plus en plus contraignantes concourent à réaliser aujourd’hui une intégration sociale au niveau universel qui tend à correspondre à une intégration juridique de type moniste (…) ». Il précise tout de même que « [s]ans doute est-ce là faire œuvre d’anticipation » (Mél. Dubouis, p. 307).
Batyah SIERPINSKI
Maître de conférences émérite en droit public
Université de Lorraine – Nancy
Sources : Mélanges en l’honneur de Jean Charpentier. La France, l’Europe et le monde, Paris, Pedone, 2009 ; G. Cahin, J.-D. Mouton, « Jean Charpentier 1928-2020 », site internet de la SFDI ; B. Sierpinski, « A la mémoire de Jean Charpentier. Souvenirs d’une ancienne étudiante et collègue ayant partagé de nombreux échanges avec lui », Civitas Europa, 2021/1, n° 46, pp. 421-422 ; J.-D. Mouton et B. Serpinski, « In memoriam, Jean Charpentier », RGDIP, 2021/1, pp. 9-12.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
(la bibliographie complète de Jean Charpentier peut être consultée in Mélanges en l’honneur de Jean Charpentier. La France, l’Europe et le monde, Paris, Pedone, 2009)
Ouvrages
La reconnaissance internationale et l’évolution du droit des gens, Paris, Pedone, 1956
Institutions Internationales, Mémentos Dalloz, de la 1ère à la 18e édition (18e ed. mise à jour avec Batyah Sierpinski, 2012), Paris, Dalloz
Cours
Articles
« La reconnaissance du G.P.R.A. », AFDI, 1959, pp. 799-816
« Existe-t-il un droit de suite ? », RGDIP, 1961, pp. 301-316
« De la non discrimination dans les investissements », AFDI, 1963, pp. 35-63
« Le retrait français de l’OTAN », AFDI, 1966, p. 409-433
« Le fondement du pouvoir de contrôle des organisations internationales », in Le Pouvoir. Mélanges offerts à Georges Burdeau, LGDJ, 1977, p. 999-1011 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions Lextenso)
« Tendances de l’élaboration du droit international coutumier », in SFDI, L’élaboration du droit international public, Colloque de Toulouse, Paris, Pedone, 1975, pp. 105-131
« Le problème des enclaves », in SFDI, La frontière, Colloque de Poitiers, Paris, Pedone, 1980 p. 41-56 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
« Solidarités et groupements entre Etats européens, Rapport général », in SFDI, Unité et diversité de l’Europe dans les relations extérieures, Colloque de Nancy, Pedone, 1982, p. 3-33 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
« Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et décolonisation », in Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Méthodes d’analyse du droit international. Mélanges offerts à Charles Chaumont, Paris, Pedone, 1984 p. 117-133
« L’affaire du Rainbow Warrior : le règlement interétatique », AFDI, 1986, pp. 873-885
« Conclusions générales » in SFDI, La juridiction internationale permanente, Colloque de Lyon, Pedone 1987 pp. 429-436 (texte mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
« Le phénomène étatique à travers les grandes mutations politiques contemporaines », in SFDI, L’Etat souverain à l’aube du XXIe siècle, Colloque de Nancy, Pedone 1994, p. 11-38
« Le Pacte de stabilité en Europe », AFDI, 1995, pp. 199-206
« Réflexions sur l’utilité du droit international », Mélanges en l’honneur de François Borella, PU de Nancy, 1999, pp. 57-66 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des PU de Nancy)
« Eléments de cohérence entre ordres juridiques distincts », in Au carrefour des droits, Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Paris, Dalloz, 2002, pp. 293-307
Hommage
Mélanges en l’honneur de Jean Charpentier. La France, l’Europe et le monde, Paris, Pedone, 2009