Jean Charpentier (1928-2020)

2020 n’aura pas été une année faste pour le droit international, à travers ceux qui l’ont servi
en donnant le meilleur d’eux-mêmes. Jean Charpentier était de ceux-là, décédé à Nancy le 16
décembre 2020 dans sa quatre-vingt-treizième année.

Né le 26 avril 1928 à Paris, il fait ses études à la Faculté de droit de Toulouse, avant d’être
nommé assistant à la Faculté de droit de Paris où il devient docteur d’Etat. Réalisée sous la
direction de Suzanne Bastid, sa thèse sur La reconnaissance internationale et l’évolution du
droit des gens (Pédone, 1956), tranchait, par l’ampleur et l’ambition de son propos, avec le lot
commun des travaux doctoraux présentés à l’époque par les jeunes internationalistes ; elle a
durablement marqué toute la réflexion conduite depuis sur le sujet.

D’abord chargé de cours à Nancy, il est reçu au concours d’agrégation de droit public en 1958
et entame une carrière de professeur qui le conduira successivement à Alger, Grenoble (1961-
1972) et à nouveau Nancy jusqu’à son éméritat en 1993.

Parallèlement à ses tâches d’enseignement, Jean Charpentier aura été, tout au long de cette
carrière et aux côtés de Suzanne Bastid dont il est une familière figure de son entourage, aux
avant-postes des deux grandes entreprises où s’organise et s’exprime désormais pour une
large part la doctrine française de droit international.

L’Annuaire français de droit international, d’une part, devant les volumes duquel il a choisi
de poser pour la photographie ouvrant les Mélanges composés en son honneur. Membre de
son comité de rédaction puis de son comité de patronage, il aura donné à l’AFDI onze
contributions, et surtout assuré, de 1955 à 1995, la « Chronique de la pratique française de
droit international » ; cette longévité tout-à-fait remarquable, qui en a fait le meilleur
connaisseur de celle-ci, est sans doute la marque d’une génération, si l’on songe à la rapidité
avec laquelle de plus jeunes collègues en ayant pris la responsabilité se débarrassent souvent
d’une tâche aussi astreignante que la tenue d’une chronique annuelle.

La Société française pour le droit international, d’autre part, de laquelle il a été un constant et
solide pilier. Membre de son Conseil constitué lors de sa première assemblée générale en
1968, il fut un participant assidu et actif de tous les colloques et journées d’étude de la
Société, lecteur consciencieux des rapports écrits autrefois communiqués à l’avance, selon
une règle aussi contraignante pour l’auteur du rapport qu’opportune pour l’intérêt de la
manifestation. Cheville ouvrière, en 1970 à Grenoble, de ce qui n’était encore qu’une «
Journée annuelle », non publiée, consacrée à L’application du droit international par le juge
français, il organisa par la suite, à Nancy, deux colloques de la SFDI, en 1981, avec l’appui
du Centre européen universitaire qu’il dirigea de 1986 à 1993, sur L’Europe dans les relations
internationales, puis en 1993 sur L’Etat souverain à l’aube du XXI è siècle.

La France, l’Europe, le Monde : le titre des Mélanges qui lui sont dédiés (Pédone, 2009)
reflète ainsi fidèlement la diversité de ses champs d’intérêt et l’orientation de ses recherches.
La soixantaine d’articles qu’il a publiés, auxquels s’ajoute son cours à l’Académie de droit
international de La Haye sur « Le contrôle par les organisations internationales de l’exécution
des obligations des Etats » (1983, vol. 182), se partagent à cet égard équitablement entre droit
international et droit européen, le second n’étant jamais entièrement déconnecté du premier,
tant par le choix des sujets que par la méthode d’analyse. Mais bien trop curieux pour se
spécialiser, Jean Charpentier, en dépit d’inévitables et naturelles dilections pour quelques
fortes thématiques, fut aussi un véritable généraliste du droit international, comme l’étaient,
une fois encore, la plupart des professeurs de sa génération, heureusement préservés de
l’hyper spécialisation des savoirs qui envahit aujourd’hui l’enseignement et la recherche en la
matière, comme en bien d’autres domaines des sciences sociales.

Moins porté à la course aux honneurs qu’à la réflexion désintéressée qui est le propre de
l’universitaire conscient de la dignité de sa fonction et des devoirs qu’elle appelle en retour,
Jean Charpentier ne fut pas seulement un juriste à la fois probe, modeste et exigeant. Pour
ceux qui l’ont connu, son apparente raideur, qui n’est finalement qu’une modalité de ce qu’on
appelle la tenue, dissimulait, à peine, un sens de l’humour à froid particulièrement efficace,
une profonde gentillesse, une grande aménité et une écoute attentive des autres. Celles et ceux
qui l’ont côtoyé auront, de lui, beaucoup appris. Quel que soit le sujet traité, ses écrits
devraient être donnés à lire à tout doctorant, et très au-delà…, pour la sobriété et la vigueur
d’un style mis au service d’analyses d’une impeccable rigueur et d’une pensée jamais coupée
des réalités de la vie internationale et des contraintes de la politique juridique extérieure des
Etats.

Gérard Cahin, professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas
Jean-Denis Mouton, professeur émérite de l’Université de Lorraine