Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général
PIERRE LALIVE
(1923-2014)
Pierre Lalive d’Epinay est né le 8 octobre 1923 à La Chaux-de-Fonds en Suisse. Licencié en lettres et en droit de l’Université de Genève, il devient docteur en droit (Ph.D.) en 1950. Sa thèse en droit international privé comparé à l’Université de Cambridge s’intitule The transfer of chattels in the conflict of laws: a comparative study. Professeur ordinaire de 1955 à 1993, et doyen de la Faculté de droit de Genève de 1966 à 1969, professeur à l’Institut universitaire de hautes études internationales à Genève, aux universités de Columbia, Bruxelles, et Cambridge, ainsi qu’à l’Institut des hautes études internationales à Paris et à l’Académie de droit international de La Haye, il est l’auteur d’au moins 182 publications en droit international. Avocat à Genève dès 1951, il est également intervenu dans des centaines d’arbitrages en qualité de conseil, secrétaire du tribunal ou arbitre.
L’un des pères fondateurs de l’arbitrage international moderne
Reconnu comme l’un des « pères fondateurs », « artisans majeurs » ou « moteurs » de l’arbitrage international, Pierre Lalive enseigne en 1967 à La Haye un cours intitulé « Problèmes relatifs à l’arbitrage international commercial » et donne en 1977 le Cours général en droit international privé. En 1986, il publie un rapport à l’attention du Congrès de l’International Council for Commercial Arbitration (ICCA), dans lequel il démontre la nécessité de prendre en compte un ordre public transnational en arbitrage international. Par ailleurs, il rédige, aux côtés de six autres experts nommés par le gouvernement suisse, la loi fédérale sur le droit international privé de 1987, contribuant à renforcer la Suisse comme place d’arbitrage de premier ordre. En 1989, il publie avec les professeurs Jean-François Poudret et Claude Reymond un ouvrage de référence intitulé Le droit de l’arbitrage interne et international en Suisse. Ses nombreuses publications, soulevant des enjeux clés de l’arbitrage international, illustrent une approche scientifique affranchie de toute évidence doctrinale.
Les apports théoriques de Pierre Lalive à l’arbitrage international ont bénéficié de sa vaste expérience pratique. Dans les années 1950, il est secrétaire des tribunaux arbitraux dans les affaires de l’Oasis de Buraïmi et Arabian American Oil Company (Aramco) c. Arabie saoudite, puis arbitre unique en 1967 dans Dalmia Dairy Industries c. National Bank of Pakistan. En 1972, il agit comme conseil des demandeurs dans Holiday Inns and Occidental Petroleum c. Maroc, première affaire du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Il représente aussi différents Etats dans des affaires devant la Cour internationale de Justice, l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce, et la Commission d’indemnisation des Nations Unies chargée de déterminer les dommages de la première Guerre du Golfe. En 1984, il préside le comité ad hoc dans Klöckner c Cameroun, première procédure CIRDI en annulation. Pierre Lalive a en outre occupé les fonctions de président, puis président honoraire de l’Association suisse d’arbitrage (ASA), fondateur et président du comité consultatif du Bulletin ASA, président, puis président honoraire de l’Institute of World Business Law de la Chambre de commerce internationale, membre du Tribunal arbitral du sport, et membre de l’ICCA. Il fonde en 1994, l’Etude Lalive, notamment aux côtés de son frère et internationaliste de renom, Jean-Flavien Lalive. En 2007, l’Etude Lalive instaure avec l’Institut des hautes études internationales et du développement la Lalive Lecture, conférence annuelle, en l’honneur des frères internationalistes et de leur contribution à l’interaction entre droit international public et privé.
Le pionnier du droit international
Pierre Lalive a tout d’abord enrichi le droit international privé « traditionnel ». Le Cours général qu’il donne en 1977 à La Haye, intitulé « Tendances et méthodes en droit international privé », est considéré comme une « contribution essentielle » à la théorie du droit international privé et aux problèmes de méthode. En tant que membre de l’Institut de droit international, dont il devient ensuite président, il rédige le rapport à l’origine de la résolution prise à Wiesbaden en 1975, mettant fin aux théories d’inapplicabilité du droit public étranger sous réserve de l’ordre public. Ce thème fait ressortir l’importance accordée par Pierre Lalive à l’étude du droit comparé comme outil de compréhension et de construction du droit, ainsi que la remise en cause de la coupure entre droit privé et droit public dans le domaine des relations internationales. Pierre Lalive a également signé de nombreux articles sur des sujets aussi divers que le droit matrimonial, le droit des successions, ou les entreprises multinationales, traités sous l’angle du droit international privé.
De plus, Pierre Lalive a contribué aux domaines novateurs du droit international privé. En matière d’art notamment, il a joué un rôle clé dans l’élaboration de la Convention de l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) du 24 juin 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés ; il a présidé la Conférence UNIDROIT des experts gouvernementaux pour la protection des biens culturels, et plus largement marqué « la pensée de nombreux juristes, historiens de l’art et archéologues ». Pierre Lalive a en outre présidé le Groupe d’experts juridiques de l’Organisation internationale de télécommunications par satellites.
L’humaniste du droit international
Le rôle essentiel joué par Pierre Lalive pour le droit international repose finalement sur sa vision fondamentalement humaniste de la matière, consacrée en 1990 par le Prix Balzan. Dans son discours prononcé à la remise du prix à Rome, il explique que « le droit international privé est à la fois art et science, mais une science appliquée, à l’instar de la médecine » plaçant la personne, « but de la société », au centre des préoccupations de cette matière : « [l]a finalité essentielle du droit international privé est donc de contribuer à l’harmonie des relations internationales, en protégeant les personnes contre les graves inconvénients qu’entraine le fractionnement des rapports juridiques dû à la division de la terre en Etats souverains ». Au fondement du droit international, Pierre Lalive rappelle les « valeurs essentielles […] d’harmonie dans la diversité, de tolérance, de respect de l’autre et de l’étranger ».
L’humanisme de Pierre Lalive a d’ailleurs rayonné sur son entourage. Outre sa richesse intellectuelle, son excellence rédactionnelle et orale, et son admirable courage, ses pairs ont souligné son goût de l’enseignement, son ouverture d’esprit, et son sens de l’humour. Marié, père de quatre enfants, et grand-père, Pierre Lalive est décédé en 2014.
Anne-Sophie GIDOIN Avocat L’auteure remercie vivement Me Teresa Giovannini et Me Michael Schneider, co-fondateurs de l’Etude Lalive, pour leur précieuse relecture
Sources : « Hommage à Pierre Lalive (1923-2014). Un (trop bref) regard sur la carrière d’un juriste hors normes », b-Arbitra, vol. 2015/1, pp 17-39 ; « In Memoriam Professor Pierre Lalive (1923-2014) », ASA Bulletin, vol. 32(2) (2014) pp. 219-243 ; « Tribute to Professor Dr. Pierre Lalive, 1923-2014 », article publié le 10 mars 2014 sur le site de l’International Council for Commercial Arbitration ; « Pierre Lalive 1923-2014 », article publié le 10 mars 2014 sur le site Global Arbitration Review ; « Entretien avec le Professeur Lalive », propos recueillis par M. le professeur Jean-Michel Jacquet et Me Domitille Baizeau, publié le 21 septembre 2010 sur le site du Graduate Institute pour la Revue Globe n°6 ; Lauréat Pierre Lalive d’Epinay sur le site de la Fondation Internationale Prix Balzan ; Discours de Pierre Lalive à Rome en 1990 sur le site de la Fondation Internationale Prix Balzan.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Une bibliographie complète des publications de Pierre Lalive est disponible sur le site de l’Etude Lalive : « Publications du Professeur Lalive ».
Ouvrages
The transfer of chattels in the conflict of laws. A comparative study, Oxford 1955 (reprint Scientia Verlag Aalen 1977).
La vente internationale d’œuvres d’art (dir.), Colloque de Genève 11-13 avril 1985, 1988, Paris, Publication CCI n° 436, 703 p.
Le droit de l’arbitrage interne et international en Suisse (en collaboration avec J-F. Poudret et C. Reymond), Editions Payot, Lausanne, 1989, 508 p.
Cours à l’Académie de droit international
« Problèmes relatifs à l’arbitrage international commercial », RCADI, 1967(I), vol. 120, pp. 568-714
Articles
« L’affaire de l’or monétaire albanais, l’arbitrage du 20 février 1953 », RGDIP, 1954, pp. 438 et s. (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions A. Pedone)
« The First World Bank Arbitration (Holiday Inns v Morocco) – Some Legal Problems », British Yearbook of International Law, vol. LI, 1980, Oxford, Clarendon Press pp. 123-161
« Arbitrage en Suisse et ‘Lex Mercatoria’ », Bulletin ASA, 1987, pp. 165-173
« De l’importance du droit international privé », Bulletin ASA, vol. 1989/3, pp. 249-252
« Le nouveau droit de l’arbitrage international en Suisse » (avec Emmanuel Gaillard), Journal du droit international (Clunet), Paris, 1989, n° 4, pp. 905-963
« Sur le retour des biens culturels illicitement exportés », in Nouveaux Itinéraires en droit – Hommage à François Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993, pp. 283-298 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions Bruylant)
Dérives arbitrales (I), Bulletin ASA, vol. 2005/4, pp. 587-592
Dérives arbitrales (II), Bulletin ASA, vol. 2006/1, pp. 2-12
Rapports
Le mariage des étrangers en Suisse, Rapport à l’Assemblée annuelle de la Conférence des autorités cantonales de surveillance de l’état civil, 29 et 30 septembre 1961
« Les modes non formels d’expression de la volonté en droit international privé. Rapport général », Travaux de l’Association Henri Capitant, 1968, Paris 1972, pp. 171-188
« La procédure arbitrale et l’indépendance des arbitres. Rapport de synthèse », Bulletin de la Cour internationale d’arbitrage de Paris, 1991, pp. 127-135