AHMED SADEK EL-KOSHERI
(1932-2019)
Né au Caire (Egypte) le 4 avril 1932, Ahmed El-Kosheri fit ses études de droit à l’Université du Caire où il fut le condisciple de Georges Abi Saab. Il obtint trois diplômes d’études supérieures, en droit privé, droit public et droit musulman. Nommé au Conseil d’Etat à l’âge de vingt ans, il fut chargé de soumettre au Président de la Haute Cour administrative égyptienne – l’éminent juriste Al-Sanhoury Pacha, qui fut son premier mentor – un rapport sur les travaux de la Section consultative compétente en matière de contrats conclus avec l’Etat ou ses divers organismes administratifs.
Après six années au Conseil d’Etat, il bénéficia d’une bourse de l’Etat égyptien afin de poursuivre ses études, d’abord à la Faculté de droit de Paris où il obtint un diplôme d’études supérieures de sciences politiques ainsi qu’un diplôme de l’Institut de droit comparé, puis à l’Université de Rennes, où il eut comme professeur Jean-Denis Bredin et où il obtint un diplôme d’études supérieures en histoire et philosophie du droit. Au mois de juillet 1962 il soutint une thèse de doctorat sur La notion de contrat international (Prix de la meilleure thèse pour l’année 1961-1962), sous la direction du Doyen Yvon Loussouarn.
Un universitaire engagé
Il entama alors une carrière professionnelle d’une très grande variété, à la fois académique et pratique. Professeur à l’Université Ain Shams au Caire (1958-1974), conseiller culturel à l’Ambassade d’Egypte à Paris (1970-1971) puis à Washington (1971-1972), professeur de droit international, vice-président puis président de l’Université Senghor d’Alexandrie (Egypte, 1989-2004). En 2010, la Faculté de droit de l’Université de Bourgogne lui décerna le grade de docteur Honoris Causa.
El-Kosheri a été élu membre de l’Institut de droit international en 1987. Il était également membre de l’International Council for Commercial Arbitration (ICCA) depuis 1989, fondateur et directeur du Centre René-Jean Dupuy pour le droit et le développement, un centre de recherches de la Bibliotheca Alexandrina (Egypte), membre du Board of Trustees et président de l’Advisory Board du Cairo Regional Centre for International Commercial Arbitration (Égypte).
Parallèlement à son activité de conseil, avocat au Barreau du Caire, spécialisé en droit international et en arbitrage international, El-Kosheri fut membre du Tribunal Érythrée/ Yémen (1997-2000), Juge ad hoc à la Cour internationale de Justice, notamment dans l’affaire Lockerbie (1991-2003), dans laquelle il émit une opinion dissidente à la célèbre ordonnance de 1992 ; juge au Tribunal administratif de la Banque africaine de développement (1997-2001) ; juge au Tribunal administratif de la Banque mondiale (à partir de 2010) ; vice-président de la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (1998- 2009).
Nonobstant la diversité et la richesse de ce parcours professionnel, El-Kosheri est resté avant tout un enseignant et un chercheur. Dès 1964, à l’Académie de droit international de La Haye, sous la direction de René-Jean Dupuy, il a présenté un rapport remarqué sur « Le rôle du juge dans l’élaboration du droit de la fonction publique internationale ». En 1966, à l’invitation du professeur Dupuy, il eut l’occasion de suivre l’enseignement de Phocion Francescakis au Centre d’études et de recherches de l’Académie, sous la direction duquel il présenta un rapport sur « Les nationalisations dans les pays du Tiers-monde devant le juge occidental » (publié à la Revue critique de droit international privé). Puis, en 1968 il fut désigné l’un des cinq rapporteurs du Colloque organisé par l’Académie sur « Les accords du commerce international ». Il noua alors avec Philippe Kahn, également co-rapporteur, une amitié qui fit de lui un disciple de l’« Ecole de Dijon ». Enfin, il donna en 1975 un cours sur « Le régime juridique créé par les accords de participation dans le domainepétrolier ».
Un pionnier de l’arbitrage international
C’est à l’occasion de certaines grandes affaires d’arbitrage international, dans lesquelles il est intervenu comme conseil ou arbitre, qu’Ahmed El-Kosheri a donné la mesure de son savoir, de sa sagesse et de son talent, en devenant l’une des figures majeures des juristes de ce qu’à l’époque, dans les années 70, on appelait le Tiers-Monde.
Sa contribution à l’élaboration d’un droit international des investissements alors en devenir, auquel il apporta sa vision et sa sensibilité des pays en voie de développement, fut déterminante. Il fut ainsi conseil de l’Egypte dans l’affaire du Plateau des Pyramides. Conseil du Koweit dans l’affaire Aminoil, il plaida avec succès devant Paul Reuter et Sir Gerald Fitzmaurice en faveur d’une lex mercatoria en matière de contrats pétroliers. Il fut encore conseil de l’Egypte dans l’affaire de Taba devant un tribunal arbitral présidé par Gunnar Lagergren et dans lequel siégeait notamment Pierre Bellet, ancien Premier Président de la Cour de cassation française. La sentence, rendue le 29 septembre 1988, devait faire droit à la revendication territoriale de l’Egypte à la suite des accords de Camp David. Il fut également membre du comité ad hoc présidé par Pierre Lalive, qui examina la première requête en annulation d’une sentence CIRDI dans l’affaire Klöckner c. Cameroun. Président du tribunal arbitral CIRDI, aux côtés de Berthold Goldman, dans l’affaire AAPL c. Sri Lanka, il rendit une sentence qui, pour la première fois, a admis la réclamation d’un investisseur sur le fondement d’un traité bilatéral, ouvrant ainsi la voie à l’extraordinaire essor du droit international des investissements. Il intervint également dans de nombreux arbitrages d’investissement et commerciaux, notamment sous l’égide du CIRDI et de la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale.
Ahmed El-Kosheri fut sans conteste l’un de ces illustres pionniers qui façonnèrent les piliers de l’arbitrage international sur lesquels l’édifice repose encore aujourd’hui. Pétri de culture juridique française, de droit musulman et de droit comparé, comme son maître Al-Sanhoury, il eut le souci constant d’œuvrer pour un droit international plus équilibré entre l’Occident et le Monde arabe. Il a inspiré des générations de jeunes juristes au Moyen-Orient et en Afrique et même au-delà.
Philippe LEBOULANGER
Avocat au Barreau de Paris
Sources : Curriculum vitae ; Hommage à Ahmed El-Kosheri, Institut d’Etudes sur le Droit et la Justice dans les Sociétés arabes IEDJA, mars 2019.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Thèse de doctorat
La notion de contrat international, Thèse de Doctorat d’Etat, dir. Y. Loussouarn, Rennes, 1962, 819 p. Prix de la meilleure thèse de l’année 1961-1962
Cours
Articles
« Les nationalisations dans les pays du tiers monde devant le juge occidental », Revue critique de droit international privé, 1967, pp. 249 et s.
« Le régime juridique du commerce avec les pays en voie de développement », in G. Kojanec (Ed.), Les Accords decommerce international, Colloque de l’Académie de Droit International de La Haye, Leiden, Sijthoff, 1969, pp. 87-136
« Stabilité et évolution dans les techniques juridiques utilisées par les pays en voie d’industrialisation », in Le Contratéconomique international, VIIes Journées Jean Dabin, Bruxelles, Bruylant, 1975, pp. 285-309
« Les mesures envisagées par le système juridique égyptien pour lutter contre la corruption économique dans le domaine des relations transnationales », Revue juridique et politique (Penant), 1983, pp. 189-202
« L’arbitrage face à la corruption et au trafic d’influence » (avec Ph. Leboulanger), Revue de l’arbitrage, 1984, pp. 3-18 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation de le Revue de l’arbitrage)
« Quelques réflexions à propos d’un texte inédit de Michel Virally », in Mélanges Virally. Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Paris, Pedone, 1991, pp.297-321 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
« ICSID Arbitration and Developing Countries », Foreign Investment Law Journal – ICSID Review, Vol. 8, 1993, pp. 104-115
« The Klöckner Case and the Finality of ICSID Arbitral Awards », Liber Amicorum Professor Ignaz Seidl-Hohenveldern,The Hague / London / Noston, Kluwer Law International, 1998, pp.103-114
« L’influence exercée par le Code civil égyptien sur l’arbitrage CCI », Actes du Congrès du Cinquantenaire du Code Civil Egyptien (1948-1998) – Ministère de la Justice RAE et Agence de la Francophonie, le Caire, 1998, pp.124-127
« The Interrelation between Worldwide Arbitral Culture and the Islamic Traditions », Proceedings of the Centennial Anniversary of the Permanent Court of Arbitration, Kluwer Law International, The Hague 1999, pp. 117 et s.
« The Contribution of Ibrahim Shihata as Scholar to the Debates of l’Institut de Droit International during the Last Decade », Liber Amicorum Dr. Ibrahim Shihata, Brill, 2000, pp.169-176
« Panorama de jurisprudence égyptienne », Cahiers de l’arbitrage, 2002, pp. 40-44
« Enforceability of Awards : Some additional Problems », New Horizon in International Commercial Arbitration andBeyond, 17th ICC Conference, Beijing, 2004, pp. 337-345
« Contractual Claims and Treaty Claims within the ICSID Arbitration System », Parallel State and Arbitral Procedures in International Arbitration, ICC Institute of World Business Law, Dossier n° III
« Universalism versus Regionalism in Today’s Arbitration Culture », Global Reflections on International Law, Commerceand Dispute Resolution, Liber Amicorum Robert Briner, ICC Publication, Paris, 2005, pp. 247-257
« Egypt’s Country Report on the Constitutional Court and its Rule and the Promotion of Human Rights, Democracy andDevelopment », VII Conference on International Law, Heidelberg, 2009
« The Prospects of the Legal Truth within the context of Arab Islamic Legal systems », ASA Special Series N° 35 – The Search for “Truth” in Arbitration, 2011, pp. 59-62
« Le Juge-Arbitre et le Juge-Conciliateur », Liber Amicorum. Mélages en l’honneur de Serge Lazareff, Paris, Pedone, 2011, pp. 229-233 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
« Quelques réflexions concernant l’arbitrage CIRDI », L’Exigence et le Droit, Mélanges en l’Honneur du Professeur Mohand Issad, 2011, pp. 211-222
« Reflections on the ICSID Annulment, Decision rendered in the Fraport/ Philippines Case », Festchrift für Bernd von Hoffman, Bielefeld, Gieseking, 2011, pp. 996-1001
Hommage
Festschrift Ahmed Sadek El-Kosheri, From the Arab World to the Globalization of International Law and Arbitration, M. Abdel Raouf, Ph Leboulanger, N Ziadé (Eds.), Wolters Kluwer, 2015.
Doctorat honoris causa de l’Université de Bourgogne, vidéo: https://www.dailymotion.com/video/xfbstk