Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général
BERTHOLD GOLDMAN
(1913-1993)
Il est des vies tellement remplies qu’il semble injuste de les résumer en si peu de lignes. Celle de Berthold Goldman en fait partie. Sa vie d’homme d’abord, continuellement portée par sa volonté d’excellence. Sa carrière académique ensuite, dont il serait impossible d’ignorer l’impact tant son nom est lié aux notions de lex mercatoria, de droit commercial (international et européen) et d’arbitrage commercial. Il laissa également son empreinte à la faculté de droit de Paris, puis à celle de Paris II Panthéon-Assas, ainsi qu’auprès de ses amis et anciens élèves, tel que le professeur Fouchard, qui ont su perpétuer sa pensée.
Vers les sommets par des chemins étroits (ad angusta per augusta)
La route qui devait amener le natif de Bucarest à la présidence de l’Université Paris II ne fut pas aisée, mais son travail et ses qualités, tant humaines qu’académiques, lui permirent de s’élever au plus haut rang universitaire et d’influencer la pensée juridique moderne. Né le 12 septembre 1913, Berthold Goldman quitte sa Roumanie natale pour la France en 1930 après avoir reçu son diplôme au sein du lycée français de Bucarest. Il commence ses études supérieures à Paris et obtient en 1933 une double licence droit et philosophie qui est ponctuée par de nombreux prix (prix de droit civil, prix de droit romain, prix Goullencourt). Rythmés par un contexte historique mouvementé, les événements se bousculent à partir de cette année là : il reçoit 3 diplômes d’études supérieures en 1936, est naturalisé français en 1937, se marie à Suzanne Henry en 1939, s’engage peu après dans l’armée française au sein du 41e régiment d’infanterie de Saint-Malo puis est démobilisé à Lyon le 19 juin 1940.
Commencent alors des années sombres et difficiles, dont on ne sait que peu de choses, si ce n’est qu’il entreprend sa thèse de doctorat à Lyon sous la direction du Doyen Roubier. La fin de la guerre s’accompagne pour Berthold Goldman d’un retour à une activité intense : il soutient sa thèse en 1946, s’inscrivant parallèlement au barreau de Paris, et est agrégé en 1947. Il débute sa carrière de professeur, d’abord en Indochine de 1947 à 1949, puis à Dijon jusqu’en 1960. Il est l’initiateur de l’Ecole de Dijon, mouvement de pensée en droit international économique et arbitrage dont sont issus plusieurs grands juristes tel que Philippe Fouchard. Cette Ecole a donné naissance à un centre de recherche (CREDIMI) qui couvre des thématiques similaires.
Son arrivée à Paris est une consécration teintée d’amertume. En effet, sa nomination en tant que professeur à l’Université de Paris en 1960 l’oblige, comme le voulait la coutume de l’époque, à quitter le barreau, alors même qu’il appréciait plaider devant les tribunaux. Il continue par ailleurs son activité arbitrale en présidant notamment le tribunal CIRDI dans la célèbre affaire Amco Asia Corporation c. Indonesia de 1984. Il est également membre du tribunal arbitral ayant ouvert la voie à l’arbitrage d’investissement moderne à travers la sentence Asian Agricultural Products Limited c. Sri Lanka de 1990.
Ses ouvrages les plus célèbres sont écrits durant la période qui suit son arrivée à Paris. En 1969 il devient membre associé de l’Institut de droit international, puis membre à part entière à partir de 1979 et enfin vice-président à partir de 1981. Au moment de l’éclatement de l’Université de Paris en 13 corps autonomes, il prend la présidence de l’Université Paris II Panthéon-Assas de 1974 à 1979. L’ultime consécration vient en 1983 avec la publication – à une époque où elles étaient encore rares – des études en son honneur, ouvrage qui fait toujours référence aujourd’hui. Il prend sa retraite universitaire en 1989, même s’il continue d’écrire, et s’éteint le 28 avril 1993.
L’un des pères de la lex mercatoria moderne
Estimer le temps que le professeur Goldman a consacré à la lex mercatoria est assez simple : cette œuvre l’a suivie durant toute la seconde moitié de sa vie. Elle commence en 1964 avec un de ses premiers articles intitulé « Frontières du droit et Lex Mercatoria », et prend fin, en 1993, avec son dernier article intitulé « Nouvelles réflexions sur la Lex Mercatoria ». Trente années qui furent consacrées à la défense d’un concept naissant, prenant le contre-pied de la doctrine majoritaire du positivisme juridique. Le professeur Goldman définit la lex mercatoria comme un ensemble hétéroclite de règles écrites (conventions internationales, lois nationales ou uniformes, règlements d’arbitrages, etc.) et non-écrites (principes généraux, coutumes, pratiques, etc.), applicables aux relations commerciales internationales et indépendant de tout système juridique. Ce concept se base sur l’existence d’une societas mercatorum, dont les membres acceptent implicitement les règles. En cela, la lex mercatoria constitue un ordre légal à part entière – idée qui, aujourd’hui encore, fait débat.
Une pensée englobant toutes les formes du commerce international
Comme l’a relevé Pierre Lalive, il est évidemment impossible de dissocier les écrits du professeur Goldman sur la lex mercatoria de ses autres écrits sur le droit commercial. Considérant ce dernier comme un ensemble, Berthold Goldman a abordé tous les aspects du droit commercial européen et international, que ce soit dans son acception matérielle ou procédurale. Son grand œuvre sur le Droit commercial européen de 1969, réédité plusieurs fois et publié dans plusieurs langues, est une référence, tout comme son cours de « Droit du commerce international » de 1970. Les écrits sur l’arbitrage jalonnèrent également sa carrière puisque ce fut à cette discipline qu’il consacra son cours de La Haye sur « Les conflits de loi en matière d’arbitrage international de droit privé » de 1963. Il participa également à la rédaction du célèbre Traité de l’arbitrage commercial international, publié après sa mort en 1996. La grande innovation du professeur Goldman est d’avoir cherché à percevoir le flux économique comme transcendant la distinction traditionnelle entre le droit privé et le droit public.
Charles-Maurice MAZUY Doctorant à l’Université Panthéon-Assas (IHEI)
Sources : L’actualité de la pensée de Berthold Goldman – Droit commercial international et européen, colloque organisé le 1er octobre 2003 sous la direction de Ph. Fouchard et L. Vogel, Ed. Panthéon-Assas, Paris, 2004 ; « Le droit des relations internationales économiques – Etudes offertes à Berthold Goldman », Litec, Paris, 1982
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
De la détermination du gardien responsable du fait des choses inanimées, Sirey, Paris, 1947
Droit commercial européen, 1 éd., Dalloz, Paris, 1969 ; avec Antoine Lyon-Caen et Louis Vogel, 5eédition, Dalloz, 1994
L’entreprise multinationale face au droit(co-direction avec Ph. Francescakis de l’ouvrage collectif de C. Lazarus, Ch. Leben, A. Lyon-Caen et B. Verdier), Litec, Paris, 1977
Traité de l’arbitrage commercial international, avec Ph. Fouchard et E. Gaillard, Litec, 1996
Cours
Les sociétés internationales, Institut des Hautes Etudes Internationales de l’Université de Paris, 1962
« Les champs d’application territoriale des lois sur la concurrence », RCADI, 1969, III, p. 631-729
Droit du commerce international, Les Cours de droit, 1970
Les conflits de lois dans le temps en droit international privé, Institut des Hautes Etudes Internationales de l’Université de Paris, 1971
Rapports
« Les conflits de lois en matière d’instruments négociables », rapport au Congrès de l’International Bar Association, Martinus Nijhoff, La Haye, 1950
« De l’obtention des preuves à l’étranger », Rapport au Congrès de l’International Bar Association, Martinus Nijhoff, La Haye, 1954
« Unification internationale et harmonisation du droit dans le domaine des sociétés multinationales », Rapport au deuxième congrès de droit privé d’Unidroit, Rome, 1976, in New Directions in International Trade Law, 1.197, Oceana Publications Inc., Dobbs Ferry, N.Y., 1977
Articles
« Le droit des sociétés internationales », JDI, 1963, pp. 320-388
« Frontières du droit et Lex Mercatoria », Archivages de philosophie du droit, Sirey, Paris, 1964, pp. 177-192
« Rapport concernant la convention sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et personnes morales (signée à Bruxelles le 29 février 1968) », RTD eur., 1968, n°4, pp. 405-423
« Le droit applicable selon la Convention de la BIRD du 18 mars 1965 », in Investissements étrangers et arbitrage entre Etats et personnes privées : la Convention BIRD du 18 mars 1965, Université de Dijon, Centre de recherche sur le droit des marchés et des investissements internationaux, Paris, Pedone, 1969, pp. 133-160 (avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)
« La protection internationale des droits de l’Homme et l’ordre public international dans le fonctionnement de la règle de conflit de lois », in René Cassin Amicorum Discipulorumque Liber, Pedone, Paris, 1969, pp. 449-466 (avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)
« Un traité fédérateur : La Convention entre États membres de la CEE sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale », RTD eur., 1971, pp. 1-39
« Les effets juridiques extra-territoriaux de la politique de la concurrence », Revue du Marché commun, 1972, pp. 612-623
« Droit et Sciences Economiques », in Le droit, les sciences humaines et la philosophie, J. Vrin, Paris, 1973
« La collaboration entre l’ordre juridique communautaire et les ordres juridiques nationaux », Actes de la 6e rencontre de propriété industrielle de Lyon, 1976, Centre Paul Roubier, Collection du CEPEI, Litec, 1977
« La Lex Mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux : réalité et perspectives », JDI, 1979, p. 475, reproduit in Travaux du Comité français de droit international privé, 1980
« La nouvelle réglementation française de l’arbitrage international », in The Art of Arbitration Essays on International Arbitration, Liber Amicorum Pieter Sanders, Kluwer, Deventer, 1982, pp. 153-174
« Les décisions du Conseil constitutionnel relatives aux nationalisations et le droit international », JDI, 1982, pp. 275-345
« Lex mercatoria », Lecture, Forum international, Kluwer Law and Taxation Publishers, 1983, pp. 11-13
« Une bataille judiciaire autour de la lex mercatoria: l’affaire Norsolor », Rev. arb., 1983, pp. 379-409
« L’action complémentaire des juges et des arbitres en vue d’assurer l’efficacité de l’arbitrage commercial international », in L’arbitrage international, 60 ans après. Regard sur l’avenir, Publication CCI, 1984, pp. 271-300
« L’arbitrage international et le droit de la concurrence », in Études offertes à Pierre Bellet, Litec, 1991
« Nouvelles réflexions sur la lex mercatoria », in Études de droit international en l’honneur de Pierre Lalive, Editions Helbing & Lichtenhahn, 1993, pp. 241 et s.
Hommages
L’actualité de la pensée de Berthold Goldman – Droit commercial international et européen, colloque organisé le 1 octobre 2003 sous la direction de Philippe Fouchard et Louis Vogel, Ed. Panthéon-Assas, Paris, 2004
Le droit des relations internationales économiques – Etudes offertes à Berthold Goldman, Litec, Paris, 1982