Photo : CDI (ULB)
ERNEST NYS
(1851-1920)
Ernest Nys, né à Courtrai le 27 mars 1851 et mort à Bruxelles le 4 septembre 1920, est un juriste belge connu pour ses importants travaux en histoire du droit international. Il étudia le droit à l’Université de Gand puis fréquenta les universités d’Heidelberg, Leipzig et Berlin au début des années 1870. Il réalisa une brillante carrière universitaire, enseignant le droit international à l’Université libre de Bruxelles à partir de 1885, qui lui permit notamment de devenir en 1882 associé de l’Institut de droit international puis membre en 1885. Il s’essaya aussi aux fonctions politiques et judiciaires : après l’accès au pouvoir du parti libéral en 1878, il devint chef de bureau au Ministère de la Justice. L’année 1882 marque son entrée dans la magistrature, dans laquelle il restera jusqu’à sa mort. Il fut juge de première instance à Anvers et à Bruxelles avant d’être conseiller à la Cour d’appel de Bruxelles en 1903, puis président de chambre en 1920 dans la même Cour. Il fut enfin membre de la Cour permanente d’arbitrage, sans toutefois être nommé arbitre. Son œuvre est cependant peu marquée par ces activités de praticien ; elle est davantage le fruit d’une curiosité immense, en particulier en histoire du droit international.
Un auteur prolifique
En effet, Nys est avant tout un universitaire particulièrement prolifique. S’il a essentiellement travaillé sur l’histoire du droit des gens, ses travaux n’en délaissèrent pas pour autant le droit international en profonde mutation du tournant du XXe siècle. Ses publications ont souvent trouvé place dans la Revue de droit international et de législation comparée, grâce notamment à l’influence d’Alphonse Rivier, un de ses maîtres, qui en est un des fondateurs. Ces articles sont autant de recherches ponctuelles sur des thèmes précis, qu’il avait pour habitude de compiler ensuite dans des ouvrages plus généraux, notamment ses Études de droit international et de droit politique, qu’il publia en deux fois. Les thèmes traités sont très divers, sa curiosité n’ayant pas de limite : il porta par exemple une attention constante à la neutralité belge, et à la neutralité en général, s’intéressa au régime juridique de l’Escaut ou à la franc-maçonnerie, et il ne s’agit là que d’illustrations. Pour l’Institut du droit international, c’est à un thème nouveau, le régime juridique des aérostats, qu’il se consacra avec Paul Fauchille.
Un autre aspect de la riche activité de Nys est son travail de traducteur, qui permit de faire connaître en français quelques œuvres fondamentales du droit international. James Lorimer lui demanda en 1885 de proposer en français une édition abrégée de ses Institutes of the law of nations : une version résumée et traduite par Nys fut ainsi publiée en 1885 sous le titre de Principes de droit international. Cinq ans plus tard, c’est les Principes du droit naturel du même qu’il traduisit en français. De même, en 1895, il offrit au lectorat français les Chapters on the Principles of International Law de John Westlake sous le titre d’Études sur les principes du droit international.
Parmi la longue bibliographie qu’il a laissée, on note plusieurs grands livres, en particulier Le droit international. Les principes, les théories, les faits. Ces pages sont inspirées par son travail d’historien, et notamment d’historien des idées : les grands auteurs médiévaux et classiques sont présents tout au long de ces trois tomes. Autre ouvrage fondamental de Nys, Les origines du droit international synthétise ses travaux en matière d’histoire des doctrines du droit international.
L’historien du droit international par excellence
Car Nys fut « par excellence l’historien du droit international » (Ch. De Visscher). Si la recension de ses travaux n’est pas possible ici, il convient de retenir un des aspects les plus marquants de sa contribution en la matière : la réhabilitation de l’apport de la pensée médiévale au droit international. Comme il l’a souligné, « le génie européen s’est manifesté dès le onzième ou le douzième siècle de notre ère dans la forme d’une association de républiques, de principautés et de royaumes, qui a été le début de la société des nations » (« Introduction » au De Indis de Victoria, p. 9). Il insista ainsi régulièrement sur l’importance des œuvres d’Honoré Bonet – dont il contribua à la connaissance de l’Arbre des batailles, ce « monument doctrinal le plus ancien » du droit international (introduction à l’Arbre des batailles, p. XXVIII) – et de Christine de Pisan dans la construction de règles encadrant les conflits armés. Il fut donc attaché sa vie durant à montrer l’apport du Moyen-Âge tardif sur le droit international, avant Gentili, Vittoria ou Grotius : « la pensée médiévale est loin d’avoir été aussi stérile qu’on se le figure communément. Elle montra, au contraire, une vigueur, une sûreté de conception et une liberté d’allures remarquables. Théologiens, philosophes et juristes se distinguèrent également, et l’on ne peut même contester à l’époque dont nous parlons un grand mérite. Belli, Ayala, Gentil passent pour avoir, les premiers, consacré au droit de la guerre des traités plus ou moins complets. Cette gloire et cet honneur doivent leur être enlevés et c’est au-delà du XVIe siècle qu’il faut reporter les plus anciens écrits systématiques sur ce sujet » (« Honoré Bonet et Christine de Pisan », Revue de droit international et de législation comparée, t. XIV, 1882, p. 451 ; repris dans l’introduction à l’Arbre des batailles, pp. VII-VIII). C’est notamment en matière de droit de la guerre, qu’il étudia tout particulièrement, que l’apport médiéval est le plus présent, certaines solutions étant, ainsi qu’il le rappelle, toujours acceptée dans le droit international du XIXe siècle.
La prestigieuse collection The Classics of International law, dirigée par James Brown Scott, ne s’y trompa donc pas lorsqu’elle l’appela en 1917 pour diriger la parution du De Indis et de jure belli relectionnes de Francisco de Vittoria, pour laquelle il rédigea une longue introduction. Quelques années après sa mort seront publiés dans la même collection les De Legationibus libri tres d’Alberico Gentili, accompagnée d’une introduction de Nys.
Ce travail d’historien est nécessairement influencé par les conceptions du tournant du XXe siècle, profondément marqué par la position dominante d’une Europe en perte d’importance politique et culturelle, mais elle n’en demeure pas moins un monument incontournable de l’histoire du droit international.
L’œuvre de Nys, immense et protéiforme, est donc le fruit d’une curiosité insatiable. Lecteur assidu, notamment dans la bibliothèque du British Museum à Londres, il a étudié quelques-unes des pages fondamentales du droit international et de son histoire qu’il s’est toujours attaché à publier et à diffuser, laissant ainsi un legs monumental à la connaissance de l’histoire du droit international.
Alexandre HERMET
Doctorant à l’Université Panthéon-Assas (IHEI)
ATER à l’Université Paris Nanterre
Sources : Ernest Nys, L’arbre des batailles d’Honoré Bonet [avec une introduction de E. Nys], Bruxelles : C. Muquardt, 1883, XXVIII-257 p. ; idem, « Honoré Bonet et Christine de Pisan », Revue de droit international et de législation comparée, t. XIV, 1882, pp. 451-472 ; Charles De Visscher, « Nécrologie », RDILC, 1920, pp. 141-142 ; Paul Errera, « Ernest Nys », RDILC, 1920, pp. 385-405 ; Amos S. Hershey, « Ernest Nys, 1851−1920 », AJIL, 1921 (vol. 15), pp. 560-561 ; Manfred Lachs, Le monde de la pensée en droit international – Théories et pratiques, Paris : Economica, 1989, spéc. pp. 81-82 ; Jean Salmon, « Ernest Nys (1851-1920) », en ligne sur le site du Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
The Papacy considered in relation to International Law, trad. anglaise par P.A. Lyons, Londres, 1879
La Guerre maritime, étude de droit international, Bruxelles : C. Muquardt, 1881, 151 p.
Le droit de la guerre et les précurseurs de Grotius, Bruxelles : C. Muquardt, 1882, 191 p.
Notes pour servir à l’histoire littéraire et dogmatique du droit international en Angleterre, Bruxelles : T. Falk, 1888, 148 p.
Les origines du droit international, Bruxelles : A. Castaigne, 1894, 414 p.
– Études de droit international et de droit politique, Bruxelles-Paris, 2 vol., Bruxelles : A. Castaigne ; Paris : A. Fontemoing, 1896 (vol. 1), 1901 (vol. 2) (éd. 1896, librairie électronique de droit international de l’Université de Macatera)
Der Kongofreistaat und das internationale Recht, Bruxelles : J. Lebègue, 1903, 82 p.
Le droit international ; les principes, les théories, les faits, 3 vol., Bruxelles, Weissenbruch, 1904-1906 ; 2eéd. 1912 [2eéd., vol. 1 ; vol. 2 ; vol. 3]
Idées modernes, droit international et franc-maçonnerie, Bruxelles : M. Weissenbruch, 1908, 124 p.
Le droit romain, le droit des gens et le Collège des docteurs en droit civil, Bruxelles : M. Weissenbruch, 1910, 159 p.
L’Escaut en temps de guerre, Bruxelles, 1910
Le Droit des gens et les anciens jurisconsultes espagnols, La Haye : M. Nijhoff, 1914, 142 p.
Christine de Pisan et ses principales œuvres, La Haye : M. Nijhoff, 1914, 83 p.
L’Escaut et la Belgique. Simples notes, Bruxelles : Falk, 1920, 34 p.
Articles
Éditions d’ouvrages dans la collection « The Classics of International Law »
Francisco de Vittoria, De Indis et de jure belli relectionnes, Washington : Carnegie Endowment, 1917
Alberico Gentili, De Legationibus libri tres, 2 vol., New York : Oxford University Press, 1924
Traductions
James Lorimer, Principes de droit international, Bruxelles : C. Muquardt, Paris : A. Marescg aîné, 1885
James Lorimer, Principes de droit naturel, 2 vol., Bruxelles : P. Weissenbruch, 1890
John Westlake, Études sur les principes du droit international, Bruxelles : A. Castaigne, Paris : Thorin et Fils, 1895