Photo : Académie de droit international – avec l’aimable autorisation du Secrétaire général
MANFRED LACHS
(1914-1993)
Manfred H. Lachs naît en 1914 à Stanisławów, en Autriche-Hongrie (dans l’actuelle Ukraine), et meurt en 1993, alors qu’il est encore juge à la Cour internationale de Justice (CIJ). Ce juriste, diplomate et professeur polonais commence ses études en droit à l’Université Jagellon de Cracovie et poursuit son cursus à l’Académie consulaire de Vienne. Il soutient sa thèse de doctorat à l’Université de Nancy en 1939, intitulée « Le développement et les fonctions des traités multilatéraux ». Pendant l’invasion puis l’occupation nazie de la Pologne, il rejoint le gouvernement polonais en exil au Royaume-Uni et poursuit son cursus à la London School of Economics puis à l’Université de Cambridge.
Le professeur
Professeur de droit international à l’Académie des sciences politiques de Varsovie y compris pendant sa carrière à l’étranger, Lachs écrit et contribue à de nombreux ouvrages et rédige plus de cent quarante articles dans onze langues, dont une majorité en français. Il donne des conférences dans plus de vingt-cinq universités à travers le monde et reçoit des doctorats honoris causa des universités d’Alger, Bruxelles, Bucarest, Budapest, Delhi, Halifax, Helsinki, Howard University Law School, Londres, New York, Nice, Sofia, Southampton et Vienne.
Manfred Lachs est parmi les rares à avoir professé plusieurs cours spéciaux à l’Académie de droit international de La Haye : la première fois en 1957, un cours en français intitulé « Le développement et les fonctions des traités multilatéraux », tiré de sa thèse rédigée à Nancy. Il revient ensuite en 1964 enseigner son sujet de prédilection – alors novateur si ce n’est pionnier, le droit de l’espace. En 1976, Lachs donne un cours intitulé « Teachings and teaching of international law », qui donnera par la suite lieu à un ouvrage en français : Le monde de la pensée en droit international. Théories et pratique, dans lequel il fait état de la doctrine en droit international à cette époque et de son évolution historique. Il y décrit le rôle des juristes en droit international, tantôt agents de leur État, tantôt juges, tantôt codificateurs. Il revient quatre ans plus tard en 1980 pour donner le cours général de droit international public.
Le juriste diplomate
Pendant près de vingt ans, Lachs sert le droit international aux Nations Unies en y représentant la Pologne. Cette carrière débute en 1945, après la publication de son premier ouvrage, War Crimes – an Attempt to Define the Issues, dans lequel il s’intéresse à la distinction entre crime de guerre et infraction politique. Son expertise en la matière l’amène à être affecté à l’accusation lors du procès de Nuremberg et à être l’un des délégués du gouvernement polonais en exil à la Commission des crimes de guerre des Nations Unies qui s’est réunie à Londres entre 1944 et 1946. Prenant ainsi une part active au Tribunal de Nuremberg pour les crimes de guerre, Manfred Lachs est attaché au bureau du procureur et joue un rôle majeur dans la rédaction de l’acte d’accusation. Il conseille également la délégation polonaise à la Conférence de paix de Paris.
Lachs participe à vingt sessions de l’Assemblée générale des Nations Unies et préside la Sixième Commission à trois reprises. Au sein de celle-ci, il initie, aux côtés de Rafael Lemkin, l’adoption par l’Assemblée générale de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Il est ensuite élu membre de la Commission du droit international en 1961, alors que celle-ci travaille sur le projet d’articles sur le droit des traités. Lachs s’illustre alors par ses prises de position concernant les principes d’inviolabilité des traités et du jus cogens.
En 1962, Lachs devient le premier président du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique. Sous sa présidence inspirée, naissent la Déclaration sur les principes juridiques concernant les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique et le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes.
Le juge
Alors que la Cour internationale de Justice vient de rendre son arrêt Sud-Ouest africain, qui lui vaut de nombreuses critiques, l’élection des juges de la CIJ de 1966 fait ressortir le nom de Manfred Lachs, élu à la quasi-unanimité tant à l’Assemblée générale qu’au Conseil de sécurité. Il devient Président de la Cour entre 1973 et 1976, et y est réélu comme juge en 1976 puis en 1984.
Pendant ses vingt-six années au Palais de la Paix, le Juge Lachs prend part à vingt-neuf affaires contentieuses et huit procédures consultatives. Dans la première affaire dans laquelle il siège, l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord, il écrit une opinion dissidente dans laquelle il soutient que la règle de l’équidistance était une règle générale de droit international, et à propos de laquelle la pratique internationale lui donnera raison.
Alors que la communauté internationale est en pleine évolution face aux différents processus de décolonisation, Lachs militait ardemment pour que la Cour s’ouvre à des ordres juridiques autres que ceux d’Europe et d’Amérique du Nord. Fervent défenseur de la diversité juridique et culturelle, il était convaincu que la CIJ devait représenter des systèmes de droit issus de différentes régions du monde, et que le droit international avait un rôle particulier à jouer, celui de « préserver la civilisation », selon les mots d’Artur Nowak-Far, sous-secrétaire d’Etat au ministère des affaires étrangères de Pologne.
Eglantine CANALE JAMET
Avocate au Barreau de Paris
Sources : E. Piontek, « Professor Manfred Lachs: Wise Man of International Law », International Community Law Review, n°13, 2011, pp. 81–86 ; O. Schachter, « The UN Years: Lachs the Diplomat », AJIL, vol. 87, n°3, pp. 414-416 ; M. S. Schwebel, « On the Bench: Lachs the Judge », AJIL, vol. 87, n°3, pp. 416-419 ; S. K. Chopra, « The Teacher: Lachs at the Hague Academy », AJIL, vol. 87, n°3, pp. 420-423 ; J. Makarczyk, « Obituary: Judge Manfred Lachs (1914-1993) », Polish Yearbook of International Law, n°19, pp. 271-276; J. Makarczyk, « Biographie », in Etudes de droit international en l’honneur du Juge Manfred Lachs, Martinus Nijhoff, 1984, pp. 15-23 ; M. Bennouna, « A Propos de la Cour Internationale de Justice dans le Monde d’Aujourd’hui de Manfred Lachs (1975-II) », RBDI, n°48, 2015, pp. 89-92 ; E. McWinney, « The Inaugural Manfred Lachs Memorial Lecture: Manfred Lachs and the International Court of Justice as Emerging Constitutional Court of the United Nations », Leiden Journal of International Law, vol. 8, n°1, 1995, pp. 41-52 ; « In Memoriam », Emory International Law Review, n°7, 1993, pp. xv-xvi ; P. H. Kooijmans, « In Memoriam Manfred Lachs », Leiden Journal of International law, 1993, vol. 6, n°2, pp. x-xii ; CIJ, « La Cour internationale de Justice rend hommage à M. Manfred Lachs (Pologne), ancien président de la Cour », Communiqué de presse, n° 2017/17, 4 avril 2014.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
War Crimes: An Attempt to Define the Issues, Londres, Stevens, 1945, 108 p.
La frontière polono-allemande: droit, vie et logique de l’histoire, Madison, Editions scientifiques de Pologne, 1964, 84 p.
The Teacher in International Law, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1987, 258 p.
Le monde de la pensée en droit international : théories et pratique, Aix en Provence, Economica, 1989, 263 p.
Cours
« Le développement et les fonctions des traités multilatéraux », RCADI, vol. 92, 1957, pp. 229-341
« The international law of outer space », RCADI, vol. 113, 1964, pp. 1-115
« Teachings and teaching of international law », RCADI, vol. 151, 1976, pp. 161-252
Articles
« Le Jugement de Nuremberg », Revue internationale de droit pénal, n°3/4, 1946, pp. 207-209
« Le principe de l’unanimité des grandes puissances. Fondement de la coexistence pacifique », Revue progressiste de droit français, n°7, 1954, pp. 93-98
« Le système de Sécurité Collective et le problème de la paix en Europe », Revue progressiste de droit français, n°5, 1955, pp. 71-82.
« Le traité de Varsovie », AFDI, vol. 1, 1955, pp. 120-122
« Le problème de la révision de la Charte des Nations Unies », RGDIP, n° 1, 1957, pp. 51-70
« La restitution de l’or monétaire: Un problème de l’interprétation des traités », Journal du droit international (Clunet), n° 1, 1961, pp. 4-67
« La Cour internationale de Justice dans le monde aujourd’hui », RBDI, n° 2, 1975, pp. 548-561
Hommages
J. Makarczyk (ed.), Etudes de droit international en l’honneur du Juge Manfred Lachs, Martinus Nijhoff, 1984.
IISL Space Law Manfred Lachs Space Law Moot Court Competition
Enseignements et Congrès : les idées du Juge Manfred Lachs en matière de droit de l’espace, AFDI, 1993, vol. 39, pp. 1299-1314