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ANTÔNIO AUGUSTO CANÇADO TRINDADE
(1947-2022)
Le parcours d’Antônio Augusto Cançado Trindade est celui d’un précurseur à plus d’un titre. Il est le premier latino-américain à recevoir le diplôme de l’Institut international des droits de l’homme ; le premier Sud-Américain à avoir été élu successivement juge à la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) puis à la Cour internationale de justice (CIJ) ; le premier juge brésilien à avoir été réélu à cette dernière Cour ; le juge qui y a été le mieux élu (163 voix favorables à l’Assemblée générale des Nations Unies et 14 au Conseil de sécurité en 2008) ; le premier Brésilien à avoir professé un cours général à l’Académie de droit international de La Haye et le second Sud-Américain (après Jiménez de Aréchaga en 1978) ; celui qui y a professé le plus de cours (cinq fois) ; celui qui a enregistré le plus de cours pour la Bibliothèque audiovisuelle des Nations Unies (presque une vingtaine).
Repères biographiques
Il naquit à Belo Horizonte (Brésil) le 17 septembre 1947 et mourut le 29 mai 2022. Diplômé de l’Université fédérale de Minas Gerais (Brésil), il poursuivit ses études de deuxième et troisième cycle en droit international à l’Université de Cambridge (Royaume-Uni) et y soutint sous la direction de Geoffrey Marston, une thèse de doctorat en 1977 sur l’épuisement des recours internes en droit international qui lui valut le prix Yorke. De retour au Brésil en 1978, il commença une brillante carrière, d’abord en tant qu’enseignant à l’Université de Brasilia en 1978 et plus tard, à l’Institut Rio Branco (Académie diplomatique brésilienne). Il fut ensuite conseiller juridique du ministère brésilien des Relations extérieures (1985-1990) et consultant juridique pour plusieurs agences des Nations Unies et d’autres organisations internationales.
En tant que juge, il siégea à la Cour interaméricaine des droits de l’homme de 1995 à 2008 (Cour qu’il présida de 1999 à 2004) et à la CIJ de 2009 à son décès.
Il aura également assumé pendant sa carrière de nombreuses fonctions au sein d’associations professionnelles et sociétés savantes. Il fut ainsi directeur exécutif de l’Institut interaméricain des droits de l’homme entre 1994 et 1996 ; membre de l’Institut de droit international à partir de 1997 et du Curatorium de l’Académie de droit international de La Haye de 2004 à sa mort. Il fut directeur, codirecteur, membre de conseils scientifiques de nombreuses revues et docteur honoris causad’une dizaine d’universités.
Un juriste prolixe
L’œuvre de Cançado Trindade est d’une extrême richesse. Son immense thèse de 1728 pages conduisit la faculté de droit de l’Université de Cambridge à limiter la longueur des thèses de doctorat à 100 000 mots.
Sa bibliographie compte environ 80 ouvrages et presque 800 articles auxquels il faut ajouter ses milliers de pages d’opinions individuelles ou dissidentes en tant que juge (plus de 103 à la CIADH et 46 à la CIJ) ! Ses opinions firent de lui le plus grand dissident de la CIJ. Ne se contentant jamais d’expliquer ou de critiquer les conclusions de la Cour, le juge Cançado Trindade fit de ses opinions, une réelle tribune pour exposer les motifs de ses désaccords, la doctrine et la philosophie qui sous-tendaient sa pensée compte tenu de l’importance qu’il accordait aux questions examinées. Quoi de plus naturel pour celui qui venait d’un pays où les juges sont tenus par la loi d’expliquer leurs décisions par écrit et où les délibérations des tribunaux sont non seulement ouvertes au public mais également diffusées en direct à la télévision ! Cette faconde, souvent à contrecourant de ces collègues, lui valut parfois quelques railleries, le style étant jugé contreproductif.
Indifférent au manque d’adhésion à ses positions par ses pairs, il espérait plus que tout insuffler sa sensibilité humaniste aux nouvelles générations d’internationalistes. Dès son premier ouvrage Fundamentos Jurídicos dos Direitos Humanos (1969), on trouve ce qui allait devenir son thème de prédilection, sa raison d’être : les droits de l’homme ou plutôt leur protection. Son Cours général à la Haye (sans doute l’un des plus denses jamais écrit !), au titre évocateur (« Le droit international pour l’humanité : vers un nouveau jus gentium »), constitue le point culminant de sa pensée articulée autour d’un droit international global humanisé.
Un juge militant pour un droit international humanisé
Cançado Trindade était, comme il n’en existe plus beaucoup, un jusnaturaliste assumé et influencé par les « pères fondateurs » (De Vitoria, Suarez, Grotius, Gentili, Pufendorf ou Wolff). Sa pensée se trouve résumée dans son opinion individuelle dans l’avis consultatif de la CIJ de 2010 sur la Déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovodans laquelle il déclare expressis verbis que « [l]’État a été créé et existe pour les êtres humains, et non l’inverse ».
De là découle son rejet pour la doctrine positiviste qui entraîne une « servilité devant les pouvoirs établis » (opinion dissidente, arrêt dans l’affaire des immunités juridictionnelles de l’Etat). Il met en garde contre une « adhésion prépondérante et irréfléchie du positivisme juridique » selon lequel « la loi, c’est la loi », comme celui qui a conduit aux horreurs humaines les plus extrêmes. Pour lui, le positivisme est critiquable car il a personnifié l’État en le dotant d’une « volonté propre » et en réduisant les droits des êtres humains à ceux que l’État leur a concédés alors même que, dans une logique de droit naturel, ces droits lui sont antérieurs et supérieurs.
Il critique également la « fossilisation du droit international » qui conduit souvent à ne pas dépasser les obstacles procéduraux lorsqu’il faut protéger les droits des personnes et éloigne le droit international de ses valeurs. Pour lui, « la procédure judiciaire n’est pas une fin en soi, c’est un moyen de réaliser la justice ». Ainsi, dans les affaires des Iles Marshall, il a vivement fustigé la décision de la Cour de ne pas juger une question d’une extrême pertinence pour toute l’humanité (le désarmement nucléaire) sur la base de simples obstacles procéduraux ; arrêts avec lesquels il a pris ses distances afin de « rester en paix avec sa conscience ». Il considère que « la Cour ne peut demeurer l’otage du consentement des États » puisque « la conscience l’emporte sur la volonté ».
Au-delà des États, c’est l’être humain qui occupe une place centrale dans la pensée de Cançado Trindade celui-ci étant, au même titre que l’humanité, un sujet de droit international et non pas un simple acteur. C’est cet élargissement de la personnalité juridique internationale qui conduit à la construction d’un nouveau jus gentium protégé par un corpus juris gentium composé des règles de jus cogens – concept dont il regrette la « déconstruction » alors qu’il est le phare qui éclaire « l’avenir du droit international ».
Antônio Augusto Cançado Trindade tenta, pendant toute sa vie, de donner une conscience au droit.
Léandre MVÉ ELLA
Docteur en droit public, élève-avocat,
Qualifié aux fonctions de Maître de conférences
Sources : J. Combacau, « Antonio Augusto Cançado Trindade — The application of the rule of exhaustion of local remedies in international law — its rationale in the international protection of individual rights, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, XII et 443 pages », RIDC, vol. 36, n° 2, avril-juin 1984, pp. 428-429 ; E. Jouannet, « Préface », in Le droit international de la personne humaine, Pedone, 2011 ; O. de Frouville, « Libres propos autour du livre d’Antônio Cançado Trindade “Le droit international pour la personne humaine ” », Conférence du 19 octobre 2012, Centre Panthéon ; Biographie Antonio Augusto Cançado Trindade sur le site de la CIJ; Ph. Couvreur, « In Memoriam : Antônio Cançado Trindade (1947-2022) », Diplomat magazine, 30 mai 2022 et RGDIP, 2022-3, pp. 401-407 (avec l’aimable autorisation des Editions Pedone) ; P. Wojcikiewicz Almeida, « O legado de Antônio Augusto Cançado Trindade: as múltiplas facetas de um percurso voltado para a construção de um novo jus gentium », CEBRI-Revista, Ano 1, n° 2, abr.-jun. 2022, pp. 186-200 ; R. Ribeiro, « In Memoriam : Antônio Augusto Cançado Trindade », EJIL:Talk!, 17 juin 2022 ; G. Rodríguez Huerta, « In Memoriam : Antonio Cançado Trindade (1947-2022) », IberICONnect, 21 juin 2022 ; D. Spielmann, A. Drzemczewski, « In memoriam – Antônio Cançado Trindade (1947-2022) », RTDH, n° 132, 2022/4, pp. 743-745 ; A. Garg, « In Memoriam : Judge A.A. Cançado Trindade’s Legacy at the International Court of Justice », OpinioJuris.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
The Application of the Rule of Exhaustion of Local Remedies in International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 1983.
Évolution du droit international au droit des gens l’accès des individus à la justice internationale. Le regard d’un juge, Paris, Pedone, 2008.
Le droit international pour la personne humaine, préface d’E. Jouannet, présentation de L. Burgorgue-Larsen, Doctrine(s), Paris, Pedone, 2011. The Access of Individuals to International Justice, Oxford University Press, 2011.
Vers un nouveau jus gentium humanisé : recueil des opinions individuelles du juge A.A. Cançado Trindade, préface d’Hélène Tigroudja, Paris, L’Harmattan, 2018.
Direction d’ouvrages
La Nueva Dimensión de las Necesidades de Protección del Ser Humano en el Inicio del Siglo XXI (avec J. Ruiz de Santiago), 3rd ed., San José, Costa Rica, UNHCR, 2004.
Derecho Internacional y Derechos Humanos/Droit international et droits de l’homme (avec D. Bardonnet), La Haye/San José, IIDH/Académie de droit international de La Haye, 1996, (2nd ed., 2005).
Egalité et non-discrimination, (avec C. Barros Leal), Fortaleza-CE FB Editora, 2014.
Le défi des droits économiques, sociaux et culturels (avec C. Barros Leal), Fortaleza-CE FB Editora, 2019.
Cours
Séries de cours audiovisuels sur le site Audiovisual Library of International Law
Articles
« Le nouveau Règlement de la Cour interaméricaine des droits de l’homme : quelques réflexions sur la condition de l’individu comme sujet du droit international », in Libertés, justice, tolérance — Mélanges en hommage au doyen G. Cohen-Jonathan, Vol. I, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 351-365 (avec l’aimable autorisation des Editions Bruylant)
« Le droit international contemporain et la personne humaine », RGDIP, 2016/3, pp. 465-514 (avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
Opinions individuelles
CIADH, Myrna Mack Chang c. Guatemala, arrêt du 25 novembre 2003, Série C, n° 101
CIADH, Communauté autochtone Sawhoyamaxa c. Paraguay, arrêt du 29 mars 2006, Série C, n° 146
CIADH, Baldeón Garcia c. Pérou, arrêt du 6 avril 2006, Série C, n° 147
CIJ, Différend frontalier (Burkina Faso/Niger), arrêt du 16 avril 2013, Rec. 2013, p. 97
Opinions dissidentes
Déclarations
Hommage
Os rumos do Direito Internacional dos Direitos Humanos. Ensaios em Homenagem ao Professor Antônio Augusto Cançado Trindade/ Rumbos del Derecho Internacional de los Derechos Humanos, Liber Amicorum Cançado Trindade/Trends in the International Law of Human Rights, Liber amirocum Cançado Trindade, 6 volumes, Porto Alegre, Sergio Antonio Fabris, 2005, 3437 p.