Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général
EDUARDO JIMÉNEZ DE ARÉCHAGA
(1918-1994)
Eduardo Jiménez de Aréchaga Sienra naît à Montevideo (Uruguay) le 8 juin 1918 dans une famille dévouée au droit. Il suit des études juridiques à l’Université nationale de la République. En 1942, il obtient le titre de docteur en droit de l’Université d’Uruguay. En 1946, il défend une thèse d’agrégation ayant pour sujet la reconnaissance des gouvernements. A la fois homme politique (il a notamment été ministre de l’intérieur pendant quelques mois en 1968), professeur, avocat et juge, il a marqué de son empreinte le droit international de la seconde moitié du XXe siècle.
Professeur formateur de générations d’internationalistes
Professeur agrégé de droit international, Jiménez de Aréchaga obtient la chaire de droit international de l’Université de Montevideo. Il y enseignera de 1946 à 1970.
Le professeur a formé et inspiré de nombreux étudiants dont certains sont devenus de remarquables juristes. La méthode qu’il propose est un subtil mélange entre une approche positiviste et une sensibilité aux nouvelles tendances qui émergent dans une communauté mondiale soucieuse de réduire les inégalités et développer la justice distributive. Il est par ailleurs à l’initiative de la création de l’Annuaire uruguayen de droit international dont le premier volume contient le détail de ses méthodes d’apprentissage du droit international.
Eduardo Jiménez de Aréchaga Sienra se révèle être un internationaliste proche des traditions européennes et américaines. Il se considère lui-même comme un partisan de la théorie de Kelsen qu’il a eu l’opportunité de rencontrer lors d’une visite de ce dernier en Uruguay.
Juriste internationaliste praticien
En 1946, il se met au service des Nations Unies. Alors qu’il est membre de la division politique du Conseil de Sécurité (1946-1948), il écrit son premier ouvrage intitulé Voting and the Handling of Disputes in the Security Council. Durant cette période, il devient un fin connaisseur de la Charte des Nations Unies. Il s’intéresse spécialement à la question du veto et, plus généralement, au droit constitutionnel des Nations Unies. Son livre Constitutional Law of the United Nations (1958), non traduit en français, propose une analyse novatrice de la Charte section par section et non article par article.
Jiménez de Aréchaga sera nommé membre de la Commission de droit international des Nations Unies en 1960, qu’il présidera en 1963 et 1964. Il sera rapporteur de la Commission plénière de la Première et Deuxième sessions de l’Assemblée générale de l’ONU « Conférence des Nations Unies sur le droit des Traités » (Vienne, 26 mars – 24 mai 1968 et 9 avril – 22 mai 1969) et participera en tant que délégué de l’Uruguay aux IIIe et Ve sessions de l’Assemblée générale des Nations Unies. Il sera par ailleurs délégué de l’Uruguay auprès du Conseil interaméricain de juristes (1950-1959), membre associé de l’Institut de droit international (1961), membre du Curatorium de l’Académie de droit international de la Haye et membre de l’Institut de droit de Montevideo.
En 1970, Jiménez de Aréchaga est nommé membre de la Cour internationale de Justice qu’il présidera de 1976 à 1979. Ses opinions dissidentes, portant en particulier sur la notion de prolongement national et de délimitation des frontières ainsi que sur le rôle de l’équité et de la proportionnalité, attirent l’attention (v. notamment son opinion individuelle dans l’affaire du Plateau continental (Tunisie c. Libye), 21 mars 1984). A l’issue de son mandat de juge, il continuera d’agir en tant que conseil devant la Cour dans plusieurs affaires. Il sera notamment le conseil de l’Australie dans l’affaire Certaines terres à phosphate à Nauru.
Il préside le Tribunal administratif de la Banque mondiale dès sa création en 1981 et jusqu’en 1992. Il préside par ailleurs des tribunaux arbitraux dans des affaires restées célèbres telles que le différend relatif à Saint-Pierre et Miquelon opposant la France et le Canada et l’affaire du Rainbow Warrior (Nouvelle-Zélande c. France), ou encore Klöckner c. Cameroun, SPP c. Egypte.
Apports à la doctrine du droit international public
Auteur d’ouvrages qui font référence en droit international public, une autre qualité reconnue au professeur Jiménez de Aréchaga Sienra est l’intérêt qu’il porte à la méthodologie. Il entreprend une systématisation de ses cours et traités de droit international public de telle sorte qu’aujourd’hui encore, ses écrits sont reconnus par de nombreux auteurs et chercheurs latino-américains en droit international contemporain.
Il considère que l’activité académique est indissociable de l’activité de praticien internationaliste. Son legs en tant qu’internationaliste est influencé par son activité en tant qu’avocat et juge auprès de la CIJ. Il contribuera en outre à l’élaboration du nouveau Règlement du 14 avril 1978 de la Cour de La Haye et ses opinions dissidentes, déclarations et recommandations font toujours l’objet d’études.
Par ailleurs, il offre une interprétation progressive et évolutive de la Charte des Nations Unies dans son ouvrage Constitutional Law of the United Nations (1958). Il la présente comme « la constitution de la communauté internationale (dont les) dispositions doivent être interprétées généreusement de telle manière qu’elles puissent être appliquées dans les conditions d’un monde changeant ».
Il décrit sa théorie sur la responsabilité des Etats dans son cours « State Responsability for the Nationalization of Foreign Owned Properties » (1978), théorie qu’il aura l’occasion de mettre en oeuvre notamment dans l’affaire Klöckner de 1982.
Jiménez de Aréchaga a aussi largement contribué à l’ouverture de la jurisprudence internationale à l’idée de réparation constructive du préjudice immatériel souffert par un Etat dans le cadre du règlement pacifique des différends internationaux, idée surgie dans un premier temps dans l’affaire Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité de 1971. Par la suite, cette théorie s’exprimera dans l’affaire Rainbow Warrior.
Le professeur uruguayen considère plus généralement l’idée de justice et le droit comme instruments de la société humaine à travers le temps. Ces réflexions sur la justice et le droit ont été en particulier développées dans son cours « International Law in the Past Third of a Century » (1978), qui lui permet aussi d’aborder le sujet des sources du droit international, un thème récurrent de son œuvre. Il dédie en outre plusieurs travaux à la question du maintien de la paix et de la sécurité internationales, ou encore au régime juridique des espaces maritimes, aériens et extraterrestres.
Eduardo Jiménez de Aréchaga Sienra continue d’être une source d’inspiration pour les étudiants en droit international des universités latino-américaines mais son apport n’est pas seulement théorique ; il a également beaucoup apporté à la pratique des juristes internationalistes.
Jackeline Patricia CESPEDES ARTEAGA Docteure en droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Chargée de travaux dirigés à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Avocat au Barreau bolivien
L’auteure remercie Mme Virginie Lanceron-Sierra pour le travail de relecture de ce portrait
Sources : A. Brause Berreta, Eduardo Jiménez de Aréchaga (1918-1994), Editores Artemisa, 2016, 194 p. ; A. Cassese, Five masters of international law. Conversations with R.-J. Dupuy, E. Jiménez de Aréchaga, R. Jennings, L. Henkin and O. Schachter, Oxford, Hart Publishing, 2011, XX, pp. 49-50 ; A. Duran Martínez, Estudios en memoria de Eduardo Jiménez de Aréchaga, éd. Universidad Católica Damaso A. Larrañaga, Uruguay, 2000, 607 p. ; M. Rama Montaldo, (dir.), Le droit international dans un monde en mutation. Liber Amicorum en hommage au Professeur Eduardo Jiménez de Aréchaga, Montevideo, FCU, 1994, 2 vol., 1358 p.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
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Voting and handling of disputes in the Security Council, New York, Carnegie Endowment for International Peace,1950, 193 p.
La estipulación en favor de terceros Estados en el Derecho Internacional, Montevideo, Facultad de Derecho, 1955, 112 p.
Derecho constitucional de las Naciones Unidas, Madrid, Escuela a funcionarios internacionales, 1958, 653 p.
Derecho Internacional contemporáneo, Madrid, Tecnos, 1980, 380 p.
Cours
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Cursos de derecho International Publico, vol. I, Teoría General, ed. JVS, Centro Estudiante de derecho, Montevideo, 1959, 280 p. ; vol. II, Los Estados y su dominio, ed. JVS, Centro de Estudiantes de Derecho, Montevideo, 1961, 514 p.
« International Law in the Past Third of a Century », RCADI, vol. 159, 1978, pp. 1-344
Articles
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« Jurisdicción de la Corte Interamericana de justicia », Anuario Jurídico interamericano, 1955-1957, pp. 3-43
« International Rules Governing Use of Waters from International Watercourses », Interamerican Law Review, vol. 2, n° 2, 1960, pp. 328-339
« L’arbitrage entre des Etats et des sociétés privées étrangères », in Mélanges en l’honneur de Gilbert Gidel, Paris, Sirey, 1961, pp. 367-382
« Diplomatic Protection of Shareholders », Philippine International Law Journal, vol. 4, n° 1-2, 1965, pp. 71-98
« International Responsibility », in Manual of Public International Law of the Carnegie Foundation, ed. Max Sorensen, McMillan & co Ltd., London, 1968, pp. 531-603
« Judges ad hoc in Advisory Proceedings », Zeitschrift für ausländischesöffent-liches Recht und Völkerrecht, Band 31 Nc. 4, 1971, pp. 697-711
« International Responsibility of States for Acts of the Judiciary », in Transnational law in a changing society: Essays in honour of Philip C. Jessup, New York, Columbia U.P. 1972, pp. 171-187
« The Amendments to the Rules of Procedure of the International Court of Justice », American Journal of International Law, vol. 67, 1973, pp. 1-22
« L’évolution récente du régionalisme interaméricain », SFDI, Régionalisme et universalisme dans le droit international contemporain, colloque de Bordeaux, Paris, Pedone, 1977, pp. 45-60 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
« State Responsibility for the Nationalization of Foreign-Owned Property », New York University Journal of International Law, vol. 11, n° 2, 1978, pp. 179-195
« Application of the Rules of State Responsibility for the Nationalisation of Foreign Owned Property », in Legal aspects of the New International Economic Order, ed. by Kamal Hossain. London, F. Pinter, 1980, pp. 220-233
« Boundaries in Latin America: Utis possidetis doctrine », in R. Bernhardt, Encyclopedia of Public International Law, Regional cooperation, Organizations and problems, 1983, pp. 45-49
« Customary International Law and the Conference on the Law of the Sea », in Essays in international law: Essays in honour of Judge Manfred Lachs, The Hague, Boston Nijhoff, 1984, pp. 575-585
« Article 92 », in J.-P. Cot et A. Pellet (dir.), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Paris, Economica, 1985, pp. 1241-1255 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions Economica)
« The Work and Jurisprudence of the International Court of Justice 1947-1986 », British Yearbook of International Law, vol. 58, 1988, pp. 1-38
Opinions et déclarations
Plateau continental (Tunisie/Libye), arrêt du 24 février 1982, Opinion individuelle
Plateau continental (Libye/Malte), arrêt du 21 mars 1984, Opinion individuelle
Hommages
Le droit international dans un monde en mutation. Liber Amicorum en hommage au Professeur Eduardo Jiménez de Aréchaga, Montevideo, FCU, 1994, 2 vol., 1358 p.
Competencia Eduardo Jiménez de Aréchaga, Concours de plaidoirie sur le thème des droits de l’homme depuis 1995, Cour interaméricaine des droits de l’homme, Association de droit international de Costa Rica (ACODI), Costa Rica