Photo : Académie française
JEAN-DENIS BREDIN
(1929-2021)
A l’inverse d’Hector Boulon, protagoniste de son roman Ce rendez-vous avec la gloire, obsédé par l’idée de connaitre la gloire, Jean-Denis Bredin était « trop bien élevé » (formule qui sera le titre d’un de ses livres) pour se lancer dans une quête frénétique de la célébrité. Cependant, son esprit vif, talentueux et brillant le conduira inéluctablement, bon gré mal gré, à la notoriété, aussi bien dans le domaine du droit que dans celui des lettres.
Jean-Denis Hirsch est né le 17 mai 1929 à Paris, d’un père juif alsacien et d’une mère catholique. Il dut sa survie sous le régime de Vichy au port du nom patronymique du conjoint de sa mère, remariée, l’avocat et futur Bâtonnier Jean Lemaire. Il fait ses études secondaires au lycée Charlemagne qu’il intègre en 1942 en classe de cinquième. La paix revenue, il opte pour le nom de famille de sa mère, changement officialisé par un décret du 16 mars 1950.
L’homme de droit : universitaire et praticien
Après un double cursus en lettres et droit à la Sorbonne, Bredin soutint en 1950 une thèse de doctorat « claire, élégante, émaillée de formules bien frappées et denses de saveur juridique » (René Rodière) ayant pour sujet « L’entreprise semi publique et publique et le droit privé ». Ce sujet transversal, à mi-chemin entre le droit privé et le droit public, témoigne à bien des égards de la richesse et de l’ouverture d’esprit de ce futur agrégé de droit privé.
En effet, en 1957 Bredin est classé premier du concours d’agrégation de droit privé ; il est, à 28 ans, le plus jeune agrégé de France d’alors. Il devient professeur à la Faculté de droit de Rennes, puis à celle de Lille en 1967, et enfin à l’Université Paris I en 1969, où il enseignera jusqu’en 1993. Il sera alors nommé professeur émérite.
Hormis sa thèse de doctorat publiée en 1957 aux éditions LGDJ, Bredin est l’auteur de nombreux écrits juridiques remarquables. On peut faire mention de ses recherches avant-gardiste de 1967 sur « L’évolution du trust dans la jurisprudence française ». Avec le Professeur Yvon Loussouarn, ils rédigent le traité Droit du commerce international en 1969, œuvre pionnière en la matière. En 1981, son article « Remarques sur la doctrine » met en évidence le déclin de la doctrine parmi les sources du droit en raison notamment de l’exaltation de la jurisprudence. Bredin a par ailleurs écrit plusieurs articles en lien avec la procédure contentieuse ou arbitrale et l’art de la plaidoirie, tels que « Le secret du délibéré arbitral » ou encore « Qu’est la plaidoirie devenue ? », qui sont révélateurs du praticien respecté que fut aussi Jean-Denis Bredin.
Inscrit au Barreau de Paris en 1951, à 20 ans, Bredin est élu premier secrétaire de la Conférence la même année. En 1966, il fonde avec Robert Badinter un cabinet d’avocat principalement orienté vers le contentieux civil et commercial, et l’arbitrage. Jean-François Prat et Robert Saint-Esteben les rejoignent respectivement en 1969 et 1973. Précurseur à une époque à laquelle la France manquait de cabinets d’avocats d’affaires, le cabinet Bredin-Prat est aujourd’hui l’un des plus réputés en ce domaines. L’homme réservé et « trop bien élevé » devint un « ténor » du barreau parisien, un avocat engagé et humaniste, comme l’illustre sa plaidoirie pour la révision du jugement de Guillaume Seznec.
Bredin eut aussi une grande expérience pratique de l’arbitrage, y compris en tant qu’arbitre. Il fut ainsi l’arbitre désigné par la France dans l’affaire du Rainbow Warrior opposant la Nouvelle-Zélande et la République française.
L’homme de lettres
Titulaire d’une licence de lettres en 1949, Bredin eut une passion et un talent certain pour l’écriture. Écrivain fécond, son œuvre littéraire est alimentée par son histoire personnelle et imprégnée de son amour pour le droit, la justice, la liberté et l’histoire. Si des romans tels que L’infamie : Le procès de Riom ou encore Un tribunal au garde-à-vous : Le procès de Pierre Mendès France sont révélateurs de l’attachement viscéral de Bredin à l’histoire, au droit et à la justice, c’est certainement son remarquable et remarqué roman L’Affaire qui symbolise le mieux cet état de fait. Dans ce roman, Bredin se saisit de la fameuse affaire Dreyfus et fait « une démonstration éblouissante de ce que peut donner le travail d’un avocat sur une question historique […] chaque affirmation était justifiée, chaque fait attesté » (D. Soulez Larivière). Le brio, la finesse et le sérieux avec lequel Bredin, à travers son roman, revient sur l’affaire « compliquée » Dreyfus ne sont sans doute pas étrangers à l’élection de ce dernier à l’Académie française.
En 1989, Jean-Denis Bredin est en effet élu à l’Académie française au fauteuil de Marguerite Yourcenar. Conscient cet honneur, il a été « l’avocat constant d’une véritable ouverture de l’Académie » aux femmes qu’il considérait « indispensables à l’équilibre et à une composition juste de toute institution » (H. Carrère d’Encausse). Au sein de l’Académie, il a été l’auteur de discours pénétrants tels que celui – toujours d’actualité – du 22 octobre 1991 intitulé « L’information publique : devoir sans droits, ou droit sans devoirs ».
Groui Nahize MOUSSODJI
Docteur en droit public de l’Université Sorbonne Paris Nord
Sources : Notice sur le site de l’Académie française ; M. de Boisseson, « In Memoriam. Hommage amical à Jean-Denis Bredin », Revue Droit & Littérature, n° 6, 2021, pp. 15-19 ; Hommage à Jean-Denis Bredin, Palais littéraire et musical, 19 octobre 2021 ; F. Rouvière, « Relire la doctrine selon Jean-Denis Bredin », RTD Civ. 2021, p. 977 ; D. Soulez Larivière, « Jean-Denis Bredin », Dalloz Actualité, 30 septembre 2021 ; M. Zink, « Hommage à M. Jean-Denis Bredin », Hommage prononcé en séance lors du décès de M. Jean-Denis Bredin le 30 septembre 2021 à l’Académie française ; R. Badinter, « In Memoriam. Jean-Denis Bredin (1929-2021) », JDI, n° 4, 2021 ; J.-B. de Montvalon, « L’avocat et académicien Jean-Denis Bredin est mort », Le Monde, 1 septembre 2021.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
L’entreprise semi publique et publique et le droit privé, Paris, LGDJ, 1957.
Droit du commerce international, Paris, Sirey, 1969 (avec Y. Loussouarn).
Convaincre: Dialogue sur l’éloquence, Paris, Odile Jacob, 2002 (avec Th. Lévy)
Articles
« La paralysie des sentences arbitrales étrangères par l’abus des voies de recours », JDI, 1962, pp. 638-664 (avec l’aimable autorisation du Journal de droit international)
« Le contrôle du juge de l’exequatur au lendemain de l’arrêt Munzer », in Travaux du Comité français de droit international privé, 25-27e année [1964-1966], 1967, pp. 19-51
« L’évolution du trust dans la jurisprudence française », in Travaux du Comité français de droit international privé, 34-36e année [1973-1975], 1977, pp. 137-160
« Remarques sur la doctrine », in Mélanges offerts à Pierre Hébraud, Toulouse, Université des sciences sociales de Toulouse, 1981, pp. 111 et s.
« La loi du juge », in Le droit des relations économiques internationales (Etudes offertes à B. Goldman), Paris, Litec, 1982, pp.15-27
« L’amiable composition et le contrat », Revue de l’arbitrage, 1984, pp. 259-271 (avec l’aimable autorisation de la Revue de l’arbitrage)
« Secret du délibéré arbitral », in Etudes offertes à Pierre Bellet, Paris, Litec, 1991, pp. 71 et s.
« A la recherche de l’‘aequitas mercatoria’ », in Mélanges en l’honneur de Yvon Loussouarn. L’internationalisation du droit, Paris, Dalloz, 1994, pp. 109 et s.
« Le juge et l’avocat », in Mélanges offerts à Pierre Drai. Le juge entre deux millénaires, Paris, Dalloz, 2000, pp. 15 et s.
« Qu’est la plaidoirie devenue ? », in Mélanges en l’honneur de Jean Buffet : la procédure dans tous ses états, Paris, Montchrestien, 2004, pp. 59 et s.
Œuvres littéraires
L’Affaire, Julliard, 1983.
Un tribunal au garde-à-vous. Le procès de Pierre Mendès-France, Fayard, 2002.
Mots et pas perdus, Plon, 2005.
Trop bien élevé, Grasset, 2007
Ce rendez-vous avec la gloire, Fayard, 2009
L’Infamie : Le procès de Riom, Grasset, 2012