Chers Membres de la SFDI,

« Si peu fait, tant à faire »… On attribue cette forte pensée à Sir Cecil Rhodes (pas un patronage très recommandable par les temps qui courent !) sur son lit de mort. Je n’en suis pas à cette extrémité mais je ressens très sincèrement ce sentiment au moment de quitter la présidence de notre Société dont vous m’avez confié les rênes il y a huit ans maintenant.

Ce fut un grand honneur et souvent un plaisir. Reste qu’au moment de tirer le bilan de ce très long mandat, je mesure tout ce qu’il aurait fallu faire et qui n’a pas été réalisé, faute de temps, faute de moyens aussi (notre Société est pauvre…), faute d’avoir su tirer le meilleur parti de votre soutien. Je sais bien qu’il y a eu des choses positives – deux surtout à mon avis : le site internet et une meilleure visibilité internationale.

Indiscutablement, les rencontres de Strasbourg et de La Haye des sociétés-sœurs ont été des succès (https://rencontremondiale-worldmeeting.org/fr/) et j’ai bénéficié pour les « monter » de l’aide enthousiaste d’une équipe formidablement dévouée. J’espère vivement que le Réseau des sociétés, animé par Clémentine Bories, continuera à faire vivre cette expérience et que le flambeau sera repris par la Société péruvienne qui s’est proposée pour organiser la troisième Rencontre.

Le site Internet aussi me paraît une belle réussite grâce au dévouement de Xavier Aurey, Franck Latty – qui a lancé la très utile « galerie des internationalistes » avec des liens bien commodes vers leurs écrits -, Thibaut Fleury Graff, qui lui a succédé, qui ont été assistés par Alexandre Hermet puis, actuellement, Arnaud Lobry. Un regret tout de même : si la rubrique « Actualités » est convenablement nourrie dans l’ensemble, l’annonce des soutenances me paraît l’être très insuffisamment. Sans doute n’avons-nous pas assez insisté auprès des directeurs des recherches pour qu’ils transmettent l’information.

Une rubrique qui a disparu du site : le précieux tableau des formations universitaires en droit international établi par Anne-Thida Norodom mais qui est en voie d’actualisation et servira d’élément de réflexion pour les futures Assises de l’enseignement du droit international. Il s’agit d’un projet qui me tient particulièrement à cœur et qui est d’ores et déjà largement sur les rails grâce à Anne-Thida – déjà citée – et à Caroline Kleiner. Faute à la Covid-19, les Assises auront lieu dans un premier temps par webinars successifs mais nous gardons bon espoir qu’elles culmineront « en présentiel » et déboucheront sur un Livre blanc riche en réflexions et en propositions.

Last but not least du côté positif de la balance : le Réseau des jeunes chercheurs animé par son bureau qui a fait et continue de faire preuve d’un dynamisme qui fait ma très sincère admiration. Le Réseau publie avec une régularité exemplaire une lettre très informative et « moderne » et le Bureau organise brillamment les deux demi-journées annuelles en prélude au colloque de la Société. En outre, un membre du Bureau participe à chaque réunion du Conseil, ce qui est l’occasion d’échanges utiles sur les activités et les attentes des jeunes chercheurs. J’ai toujours eu à cœur de les encourager sans interférer dans leurs activités et je dois dire qu’ils me semblent se débrouiller plus que bien sans ingérence extérieure.

Comme vous le voyez, ces succès me doivent peu mais témoignent d’une dynamique de groupe réjouissante. Tout n’est pas parfait pourtant et je porte la responsabilité principale du passif – même si j’ai parfois pesté contre des engagements non tenus de ci de là.

L’un de mes plus grands regrets est de n’avoir pas tenu l’une de mes principales « promesses de campagne » : mener une enquête prospective parmi nos membres, mais surtout parmi les internationalistes qui n’adhèrent pas, ou plus, à notre Société, pour nous enquérir de leurs attentes et recueillir leurs critiques et leurs souhaits. À mes yeux, cette enquête devrait s’adresser non seulement aux universitaires, mais aussi aux praticiens du droit international dont un nombre très insuffisant nous ont rejoints. Alors que l’équilibre des « genres » au sein du Conseil est satisfaisant, c’est très loin d’être le cas en ce qui concerne les origines professionnelles des membres. Je pense qu’il faudrait arriver à rompre l’entre soi académique dans lequel nous avons un peu tendance à nous complaire et une telle enquête serait aussi une occasion de « démarcher » les avocats, les magistrats (internationaux et nationaux), les diplomates, les fonctionnaires internationaux, etc., et de tenter de répondre à leurs besoins. Cela risque de prendre du temps et je m’en veux de ne pas l’avoir trouvé.

Dans le même esprit, je regrette une collaboration insuffisante avec les « sociétés savantes » dans d’autres domaines du droit. Ici aussi le splendide isolement n’est pas sain.

Autre regret : durant plusieurs de ses réunions, le Conseil a discuté d’un projet, qui m’a toujours semblé très prometteur : la publication d’un volume annuel des « French Perspectives in International Law », dans lequel serait reproduit en traduction anglaise un échantillon des articles les meilleurs ou les plus significatifs publiés en droit international public et privé durant l’année. Bien qu’il eût reçu l’appui (et une promesse de financement) de la Fondation pour le droit continental, le projet n’a pas prospéré faute de suivi ; il s’agit pourtant d’une bonne et utile idée. Je ne sais si cela est « rattrapable » ? Plus largement, je persiste à penser que nous ne sommes pas suffisamment réceptifs à l’anglais et que, du coup, nous nous coupons de la communauté scientifique internationale dans notre discipline (à laquelle d’ailleurs, nous participons insuffisamment, mais c’est un très vaste débat).

Il y a eu bien sûr d’autres « ratés » mais c’est sur quelque chose d’un peu différent que je voudrais m’arrêter avant de terminer. J’ai la conviction profonde que nous sommes insuffisamment « militants ». Et ceci à deux points de vue.

Nous ne défendons pas assez la place du droit international que ce soit dans l’enseignement ou dans la pratique et je dois dire, au risque de peiner certains, que je suis fort inquiet du manque de considération dont bénéficie le droit international dans la politique extérieure de la France. L’héroïque direction des affaires juridiques du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères n’est pas en cause, au contraire (et j’en profite pour saluer le soutien sans faille de François Alabrune dont nous bénéficions) – les moyens qui lui sont alloués le sont. Même remarque en ce qui concerne la formation des magistrats ou le concours d’entrée à l’ENA, par exemple : le droit international y est la cinquième roue du carrosse.

Mais j’irais plus loin – et c’est mon second point : nous sommes la Société pour le droit international et c’est lui que nous devons défendre. Je sais que certains de mes billets ont parfois choqué certains lecteurs car j’y prenais position (position juridique) sur des problèmes d’actualité. Tant pis. Il me semble important que les internationalistes prennent partie lorsque l’application du droit international est en cause et tentent de peser sur le débat. La Société américaine n’éprouve pas de scrupule pour critiquer la politique, juridiquement insensée, de Trump. Nous pourrions tout aussi bien débattre de celle de notre pays (fût-ce d’ailleurs pour l’approuver !). Je pense profondément que cela aussi fait partie de notre rôle en tant que citoyens, mais aussi de juristes et de membres de la Société française pour le droit international.

Ces réflexions rejoignent un souci. Je l’ai dit : nous sommes pauvres. Nous vivons exclusivement des contributions des membres. Je trouve incroyable que, contrairement à nombre de sociétés sœurs, nous ne bénéficions d’aucune subvention du ministère des Affaires étrangères – mais compte tenu de ce qui précède, je crains qu’il soit vain d’espérer un changement dans un avenir prévisible. En revanche, il me semble important – et plus réaliste – de faire un effort vigoureux dans une double direction : d’une part, il faudrait mener une campagne systématique pour convaincre un bien plus grand nombre de sociétaires de devenir membre à vie ou bienfaiteur en insistant sur le coût relativement modeste de cette générosité (du fait de l’abattement fiscal qu’elle génère) ; d’autre part, il faut que nous progressions dans le fund-raising. Je suis convaincu que, si nous répondons mieux à leurs attentes, les cabinets d’avocats et de conseils juridiques seraient prêts à contribuer financièrement à nos activités. Ceci dit, ici encore, je plaide coupable : je suis conscient de tout ceci depuis plusieurs années et je n’ai pas pris le taureau financier par les cornes comme je l’aurais dû.

Tout cela étant dit, je ne voudrais pas terminer ce billet-bilan, sans exprimer ma vive reconnaissance à tous ceux qui ont donné de leur personne pour que vive notre Société et sans lesquels pas grand-chose ne se serait passée durant cet « octennat ». Mes remerciements vont en premier lieu aux membres du bureau et d’abord à la secrétaire générale, Anne-Thida Norodom, qui a été la cheville ouvrière de toutes nos entreprises (ainsi qu’à son prédécesseur, Sébastien Touzé). Je remercie aussi de tout cœur les trésoriers, Caroline Kleiner et Patrick Jacob, que je n’ai pas suffisamment épaulés, le Secrétaire général adjoint, Guillaume Le Floch, sans oublier, bien sûr, les deux vice-présidents, Gilbert Guillaume, pour les années où sa présence et sa participation très active ont apporté énormément aux travaux du Conseil, et à Geneviève Bastid-Burdeau, qui est également un précieux « pilier » de notre Société. A tous, un très grand et très sincère merci !

Les élections au Conseil ont eu lieu durant la semaine du 13 au 20 septembre. J’adresse aux nouveaux membres du Conseil toutes mes félicitations pour leur élection et je leur souhaite une implication aussi grande que possible dans les travaux du Conseil et de la Société. Il est résulté de cette élection un renouvellement considérable qui contribuera, j’en suis sûr, à donner un nouvel élan à notre compagnie sous l’impulsion d’un nouveau président ou d’une nouvelle présidente. Je lui souhaite d’avance beaucoup de succès dans cette fonction, parfois prenante, mais où j’ai eu plaisir de servir, comme j’ai pu, notre droit international.

Merci et bon vent !

                                                                       Alain PELLET

                                                                       Président (sortant) de la SFDI