Cher(e)s membres de la Société,
Cela commence mal… Partisan convaincu de la féminisation des titres et des fonctions, je ne le suis pas de l’écriture « genrée » qui complique trop la lecture… Alors :
Chers membres de la Société,
Notre droit international ne va pas bien et 2017 n’a pas été un bon cru…Trump remet en cause le multilatéralisme à l’américaine de l’après-guerre et je ne suis pas convaincu que les nouvelles routes de la soie établies sur une conception de la souveraineté à la chinoise promettent des lendemains qui chantent à l’état de droit au plan international. La reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israel par les États-Unis (qui seront suivis par d’autres) au mépris des résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité n’est pas non plus un signal encourageant. Après le rejet de la sentence « Philippines » par la Chine, celui de la sentence Slovénie/Croatie par cette dernière ne laisse pas bien augurer du règlement pacifique des différends inter-étatiques. Et je ne suis pas sûr que l’affaire des Chagos soit très prometteuse à cet égard.
Et ceci s’inscrit dans une perspective à long terme. Laissez-moi mettre « les pieds dans le plat ». Il y a quelques décennies, les meilleurs internationalistes du monde étaient juges à la CIJ ; et, lorsqu’ils n’y siégeaient pas, on les trouvait à la CDI. C’est loin d’être le cas aujourd’hui : la Commission est, à de rares exceptions près, peuplée de juristes (tous ses membres le sont-ils ?) médiocres et l’échec de la candidature de Sir Christopher Greenwood à la CIJ (comme d’ailleurs de celle de Mathias Forteau à la CDI) est révélateur et symbolique : les États se soucient de la qualité des « services publics juridiques » comme d’une guigne.
Je m’inquiétais, il y a quelques années (en anglais)[1], que les États n’aient plus « foi » dans le droit international ; au pire, écrivais-je, ils le violent (mais c’est dans la nature des choses : des règles inviolables ne sont pas juridiques) ; au mieux, ils considèrent que c’est un outil utile pour la conduite au jour le jour de leurs relations extérieures mais « La Paix par le droit », « Le développement grâce à un nouvel ordre juridique international » sont à l’évidence des slogans totalement dépassés. Sans doute, y a-t-il quelques signes de nouvelles « croyances » partielles : dans les droits de l’homme ou le droit de l’environnement (mais l’écrirais-je encore aujourd’hui ? M. Trump ne semble adepte ni des uns ni de l’autre et ni M. Xi, ni pas mal d’autres ne sont fanatiques des premiers) ; mais ces cultes nouveaux sont confinés à des « ismes » (« droits de l’hommisme », « envionnementalisme »…) qui n’appréhendent pas l’intérêt général dans son ensemble (même s’ils y contribuent). Et je ne suis même pas sûr que nous autres, qui nous voulons les Gardiens du Temple, nous ayons gardé le feu sacré : nous nous contentons d’une approche pragmatique, qui manque un peu de souffle, quand nous ne nous complaisons pas dans une approche « critique » parfaitement stérile.
Il y a quand même quelques raisons d’espérer. D’abord parce que le pire n’est pas toujours sûr et le verre à moitié vide est aussi à moitié plein. Sans doute, le bilan actuel de la CPI n’est-il pas brillant, mais le TPIY « ferme » avec des résultats globalement positifs. La dénonciation de la Convention de Washington par quelques pays n’a pas été suivie et pourrait être l’occasion d’une réflexion féconde sur une réforme utile tandis que l’échec avéré des pourparlers de Doha n’empêche pas le mécanisme de règlement des différends de l’OMC de continuer, pour l’instant, à fonctionner convenablement. Et le Brexit pourrait donner un nouveau souffle à la construction européenne.
Ce tableau contrasté n’est surement pas une raison pour baisser les bras. Il doit, au contraire, nous inciter à nous mobiliser pour le progrès du droit international, public et privé, pour le maintenir contre les vents mauvais qui le menacent, et pour travailler à son affermissement et à ses progrès. C’est la vocation même de notre Société.
Elle s’y efforce autant qu’elle le peut – malgré des moyens limités (n’oubliez pas que nous « vivons » grâce à vos cotisations ! voir le précédent « édito » sur « Le nerf de l’action » dans les archives de ce site). À noter dans les mois qui viennent :
– 9 mars 2018 : journée d’actualité de la SFDI (Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) ;
– 31 mai-1er juin 2018 : Colloque « Droit international et santé » (Université Droit et santé de Rennes) ;
– 28 et 29 septembre 2018 : journées franco-allemandes (colloque Deutsche Gesellschaft für Internationales Rechts (DGIR) / SFDI), « Le Traité de Versailles » (Atelier des jeunes chercheurs : 26 et 27 septembre – « Le principe d’autodétermination un siècle après le traité de Versailles : d’hier à aujourd’hui – et demain ? ») ;
– janvier 2019 : Deuxième Rencontre mondiale des sociétés pour le droit international (La Haye ; en coopération avec l’American Society for International Law et sous les auspices de l’Académie de Droit international).
Et bien sûr, les publications du colloque de Lille (La souveraineté pénale de l’État en droit international) et de la journée d’étude franco-italienne du Mans (Le standard de due diligence et la responsabilité internationale), les prix Suzanne Bastid et Jacques Mourgeon, sans oublier les activités – très remarquables – du Bureau des jeunes chercheurs.
Et un petit rappel : n’oubliez pas de signaler les soutenances de thèses que vous dirigez ou dans le jury desquelles vous siégez pour qu’elles soient annoncées sur le site de la Société (actualites@https://stage.https://sfdi.org/wp-content/uploads/2014/10/Galerie4-1.jpg2000.autones-avocat.com/wp-content/uploads/2016/11/colloque2016-1.png.org).
Tout ceci, chers membres de la Société, pour vous dire que, plus que jamais, la Société a besoin de vous, le droit international a besoin de vous, et pour vous remercier de votre soutien.
Je vous souhaite une très belle et heureuse année 2018 pour vous, ceux que vous aimez, et notre cher et indispensable droit international.
Alain PELLET, Président de la SFDI
[1] V. « Less is More. International Law of the 21st Century. Law without Faith », in J. Crawford and S. Nouwen (eds), Select Proceedings of the European Society of International Law, 2012, pp. 81-88