Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général
VESPASIEN PELLA
(1897-1952)
L’éminent internationaliste, professeur et diplomate roumain, Vespasien V. Pella (né le 17 janvier 1897 à Râmnicu Sărat, fils de l’avocat Vespasien I. Pella) a étudié à la Faculté de droit de Iaşi et a obtenu son doctorat en droit à l’Université de Paris en 1920, avec une thèse intitulée Des incapacités résultant des condamnations pénales en droit international, rédigée sous la direction du professeur Emile Garçon.
À seulement 29 ans, Pella était diplômé en sciences pénales, député, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Iaşi et à l’Institut de hautes études internationales de Paris, membre du Comité d’experts de la Société des Nations, membre de la délégation roumaine à la SdN, membre du Conseil supérieur législatif de Roumanie, secrétaire général de la Conférence internationale des représentants des commissions de codification pénale, membre du Conseil de l’Union interparlementaire et du Conseil de l’Association internationale de droit pénal.
Le crime d’agression
Son ouvrage célèbre La criminalité collective des États et le droit pénal de l’avenir avait été présenté comme un projet du groupe roumain à la XXIIIe Conférence de l’Union interparlementaire à Washington en 1925 en vue de la codification du droit international et la criminalisation de la guerre d’agression. Il lui a valu, en dehors des louanges du monde académique européen, la nomination pour le Prix Nobel de la paix de cette année-là, en raison de « ses efforts inlassables dans la promotion des idées pacifistes » et pour son mérite d’avoir introduit « pour la première fois dans l’histoire du droit international la notion de responsabilité collective des Etats » (G. Sbârnă).
Considérant la guerre d’agression comme « un crime », le professeur avait esquissé une définition de l’agression plus de sept ans avant la Conférence interparlementaire de Londres dédiée à cette démarche. Engagé en faveur de l’idée de la paix, il a transmis l’idéal d’un droit international basé sur cette valeur suprême (à une époque où la guerre n’était toujours pas considérée comme un moyen illicite de règlement des différends) « comme un droit auquel devraient aspirer les nations et qui devrait contribuer efficacement à l’ouverture de la voie du désarmement moral ».
Promoteur de la responsabilité pénale individuelle et d’une cour criminelle internationale
Pella a provoqué une vraie révolution dans le droit international par la promotion de la responsabilité pénale individuelle comme fondement de la construction de la personnalité juridique internationale de l’individu. En plus de la responsabilité de l’Etat, affirmait-il, « la peine doit s’étendre à toutes les personnes physiques qui ont participé à la préparation des actes criminels ou qui ont eu l’initiative de leur accomplissement. Par conséquent, il faut punir les dirigeants politiques qui, par leur action, ont sciemment précipité les événements et ont occasionné ainsi un conflit armé entre leur Etat et un autre Etat » (La criminalité collective des Etats et le droit pénal de l’avenir, pp.183-184).
Dans les années qui ont suivi, le nom de l’illustre juriste a été lié aux projets de développement du droit international. Le plus connu d’entre eux est, probablement, celui de la création d’une cour criminelle internationale comme une « manifestation concrète d’un fort desideratum de la conscience juridique contemporaine » (C. Bassiouni). Dès 1923-1924, avec M. Henri Donnedieu de Vabres, il pose les premières bases de l’internationalisme judiciaire. En 1928, Pella propose la création d’une chambre pénale au sein de la Cour permanente de justice internationale. L’idée est reprise en 1935, devant la Société des Nations, où on soutient la création d’une Cour criminelle internationale permanente.
Artisan de la construction européenne et de la convention sur le génocide
Cependant, on connaît beaucoup moins l’implication de Pella dans la construction européenne et son idée de « renforcer l’Europe […] grâce à une coopération fondée sur le principe de l’égalité entre tous les membres de la société européenne » (« L’Union Fédérale Européenne. V. La seconde renaissance de l’Europe », Universul, 9 juin 1930). En reprenant le syntagme de Titulescu « du national à l’universel par le régional », Pella a soutenu l’idée d’une union fédérale européenne fondée sur un plan d’organisation continentale qui comprendrait « d’un coup » tous les pays européens et qui développerait le système d’ententes régionales et leur fédéralisation « de façon progressive » (Assemblée générale de la Fédération internationale des Comités de coopération européenne, 1935).
Pella est également l’artisan de la Convention pour la répression du faux-monnayage (1929), de la Convention contre le terrorisme (1937) et de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948). Pour cette dernière convention, il a fait partie du groupe d’experts nommé par le Secrétaire général de l’ONU, aux côtés du juriste polonais Raphael Lemkin et du professeur français (ancien juge du Tribunal militaire de Nuremberg) Henri Donnedieu de Vabres, l’un de ses plus proches collaborateurs pendant toute son activité.
« Toujours au service de l’humanité »
Pella a été un des fondateurs de l’Association internationale de droit pénal (créée en 1924), devenue, dans ses 92 ans d’activité, la plus célèbre organisation scientifique internationale non gouvernementale dans le domaine du droit pénal, et il en a assuré la présidence entre 1946 et 1952.
Le 28 décembre 1938, dans la salle de fêtes de la Faculté de droit de Paris, il reçoit une médaille à son effigie, offerte à cette « gloire de la science du droit » qui a consacré toute son existence à l’idéal de « pacification des esprits pour la formation de cette conscience plus élevée dans l’intérêt général de l’humanité ».
Pour ses mérites, en 1941, Pella est reçu comme membre correspondant de l’Académie roumaine. Pendant les années de la Deuxième guerre mondiale, il est délégué de la Commission internationale permanente de la région des eaux du bassin du Danube et ministre plénipotentiaire à Berne. En 1947, après la publication de son « œuvre capitale » (G. Sbârnă), La guerre-crime et les criminels de guerre, réflexions sur la justice pénale internationale, ce qu’elle est et ce qu’elle devrait être, il est consultant auprès le Tribunal international de Nuremberg, auquel il expose ses nouvelles idées. Les dernières années de sa vie il travaille comme expert et consultant juridique à l’ONU, « toujours au service de l’humanité » (G. Sbârnă ).
Aurora CIUCA
Professeure à la Faculté de droit de l’Université Stefan cel Mare (Roumanie)
Présidente de l’Association Vespasien Pella
Sources : G. Sbârnă, « Vespasian V. Pella- au service de la science du droit et cause de la paix », Annals of the Academy of Romanian Scientists, Series of History and Archeology, vol. 5, n° 2/2013, pp. 85-125 ; C. Bassiouni, International Criminal Law, Draft International Criminal Code, Sijthoff & Noordhoff, 1980, Introduction, p. VIII ; Mircea Dutu, Vespasian V. Pella. Fondator al dreptului international penal. Promotor al unificarii dreptului penal. Artizan al justitiei penale internationale, (Vespasian V. Pella, Founder of the international criminal law. Promoter of the unification of the criminal law. Architect of the international justice), Editura Universul Juridic, 2012, 148 p.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
L’Amnistie, Paris, Editions Sagot, 1920
Des incapacités résultant des condamnations pénales en droit international, préface d’Emile Garçon, Paris, Sirey, 1920
La guerre d’agression et la constitution d’un droit répressif des nations, Union Interparlementaire, Genève 1925
La criminalité collective des Etats et le droit pénal de l’avenir, 2e édition, 1926, Imprimerie de l’Etat, Bucarest, Paris, Edition Godde, précédé d’une enquête internationale
Système international d’élimination des criminels dangereux et des délinquants d’habitude, Association internationale de droit pénal, Paris, Godde, 1926
La sécurité des Etats et les pactes limités de non agression, Bucarest, Ed. Roumanie nouvelle, 1925
La Roumanie et le désarmement, Bucarest, Ed. Roumanie nouvelle, 1926
La coopération des Etats dans la lutte contre le faux monnayage (Rapport à la Société des Nations), Paris, Pedone, 1927
Vers l’unification du Droit pénal par la création d’un Institut international auprès de la Société des Nations, Paris, Sirey, 1928
Projet de statut d’une Cour de justice criminelle internationale, précédé d’un rapport (étude rédigée au nom de l’Association internationale de droit pénal), Paris, Edition Godde, 1928
La codification du Droit international, Bucarest, Editions Vacar, 1928
Observations sur le projet interparlementaire d’une déclaration des droits et des devoirs des Etats, Union interparlementaire, Berlin 1926
La guerre-crime et les criminels de guerre, Neuchâtel, Ed ; de la Baconnière, 1964 (publié originellement in Revue de droit international de sciences diplomatiques et politiques, 1945)
Cours
« La répression de la piraterie », RCADI, vol. 15, 1926, pp. 145-275
« La répression des crimes contre la personnalité de l’Etat », RCADI, vol. 33, 1930, pp. 671-870
Articles
« L’Union fédérale européenne » (dix articles), Universul, Bucarest, 1930 (en roumain)
« La criminalité de guerre et les illusions de la paix », Revue internationale de droit pénal, 1931
Rapports et communications