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ANDRÉ PATRY
(1923-2012)
La vie d’André Patry est intimement liée à l’accroissement de la présence du Québec dans le monde, tout en empruntant de nombreux détours qui font de lui un être inclassable. Professeur de droit international public, diplomate, fonctionnaire, journaliste et essayiste, les facettes multiples de sa longue carrière lui ont permis d’exploiter un esprit cultivé, une pensée juridique originale et la volonté d’être un homme d’action. Il s’est surtout intéressé à l’étude des sujets du droit international public autres que l’État souverain et particulièrement à la capacité internationale des entités fédérées. Cet apport à la doctrine du droit international public de langue française s’est doublé d’une contribution à la pratique des États en la matière grâce à l’influence qu’il a pu exercer sur l’action internationale du Québec au cours des années 1960 à 1980.
Un internationaliste autodidacte
Patry naît à Québec le 15 juin 1923, alors que le Canada n’a pas encore obtenu son indépendance politique complète du Royaume-Uni. Il fait son cours classique au Petit Séminaire de Québec où l’apprentissage du grec ancien et du latin lui permettra de devenir un polyglotte accompli avec la maîtrise de plus de six langues. Il poursuivra ses études à l’Université Laval où il obtiendra une licence de droit ainsi qu’une maîtrise de science politique, rédigeant un mémoire sur le potentiel économique de la relation entre Haïti et le Canada (1945) et une thèse sur le jeune service diplomatique et consulaire canadien (1947). Il publiera à la même époque une étude sur les premiers éléments de structuration de la politique étrangère du Canada (1947).
Sa formation intellectuelle et son apprentissage de la diplomatie seront marqués par l’incidence des grands événements de l’histoire sur sa ville natale. Patry a fréquenté les Habsbourg en exil à Québec pendant la Seconde Guerre mondiale et travaillera pour l’impératrice Zita dans leurs tentatives de recouvrer le trône d’Autriche. Sa connaissance des langues romanes lui permettra d’agir comme interprète auprès des délégations d’Amérique latine lors de la première conférence de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à Québec en 1945. Les contacts qu’il y nouera lui permettront d’agir ensuite comme attaché de presse officieux de la représentation d’Haïti au Canada et comme consul intérimaire de la République dominicaine à Québec.
Professeur et praticien
Patry est devenu professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval où il a donné le cours de droit international public de 1953 à 1968, ainsi qu’à la Faculté des sciences sociales où il a enseigné les relations internationales. Son enseignement se concentrera sur les institutions internationales et il s’attardera au statut des États fédéraux en droit international. Parmi les étudiants auxquels il a enseigné à l’Université Laval, on retrouve MM. Brian Mulroney et Jean Chrétien, futurs premiers ministres du Canada, de même que M. Lucien Bouchard, futur Premier ministre du Québec avec qui il a conservé des liens amicaux toute sa vie.
Parallèlement à sa carrière universitaire, Patry demeure très actif. En 1956, il fonde un comité d’accueil des réfugiés hongrois, ce qui lui vaudra la décoration de Grand officier au mérite de l’Ordre souverain de Malte. Il s’offre une parenthèse de deux ans dans la fonction publique internationale à la fin des années 1950, à la division des affaires politiques de l’OTAN. De 1960 à 1966, Patry est conseiller du Premier ministre du Québec en matière internationale, où ses talents de diplomate permettront la résolution de l’affaire des Trésors polonais, un conflit fédéral qui envenimait les relations entre Ottawa et Varsovie. En plus de veiller au développement de relations privilégiées avec la France, il profitera aussi de son influence pour infléchir l’action internationale du Québec vers d’autres partenaires, surtout dans la francophonie et le monde arabe. Le point d’orgue de la carrière de Patry dans la fonction publique sera sa nomination comme premier chef du protocole du gouvernement du Québec pendant l’Exposition universelle de Montréal en 1967, au cours de laquelle il a veillé à l’accueil et à la représentation du Québec auprès des dignitaires et chefs d’État et de gouvernement étrangers de passage (1966-1968). Il sera aux premières loges dans l’organisation de la célèbre visite du général de Gaulle à l’été 1967.
En quittant son poste à l’Université Laval, Patry devient sous-ministre au nouveau ministère de l’Immigration du Québec (1968-1970), conseiller spécial au ministère des Affaires culturelles (1970-1974), puis il créé la direction des affaires arabes au ministère des Relations internationales (1974-1976). Après un bref passage à Bruxelles à la fin des années 1970 comme délégué général du Québec en Belgique et au Luxembourg, il fonde une agence d’information internationale et termine sa carrière comme avocat conseil en droit international public. Il est décédé à Montréal le 1er juillet 2012 à l’âge de 89 ans.
L’inspirateur de la doctrine Gérin-Lajoie
Patry s’est efforcé de dégager les fondements de l’action internationale du Québec en droit international public et en droit constitutionnel. Pour lui, la reconnaissance de la capacité internationale du Québec était compatible avec le fédéralisme et la souveraineté du Canada. Il a voulu systématiser l’assise juridique des ententes internationales que le Québec commençait à négocier avec la France et d’autres partenaires. Il a convaincu le vice-premier ministre du Québec, M. Paul Gérin-Lajoie, de s’adresser en 1965 au corps consulaire de Montréal afin d’exposer la doctrine qui sous-tend l’action internationale du Québec et qui allait prendre son nom. Ce discours – essentiellement rédigé par Patry – faisait valoir que le Québec a la capacité de conclure des traités dans les matières qui relèvent de ses compétences constitutionnelles.
L’essentiel de sa pensée est développé dans son étude sur « La capacité internationale des États fédérés » (1967) et dans son ouvrage sur La capacité internationale des États : l’exercice du « jus tractatuum » (1983). Patry s’est attaché à critiquer le refus de la doctrine classique de tenir compte de la personnalité internationale réduite mais réelle dont peuvent jouir les entités fédérées. Il estimait que la réduction par la théorie juridique de l’État fédéral à un simple État unitaire largement décentralisé ne correspondait pas à la réalité de la société internationale.
Son étude de la pratique des États fédéraux a montré que les autorités fédérales exerçaient toujours un contrôle d’opportunité sur l’action internationale des entités fédérées et que ces dernières ne participaient jamais de manière autonome aux conférences multilatérales. Patry craignait que le refus de reconnaître la personnalité internationale réelle des entités fédérées n’aboutisse à la disparition graduelle du fédéralisme. Il était d’avis qu’il revenait aux constitutions fédérales de reconnaître la capacité internationale des entités fédérées et que le droit international public devait en prendre acte. Cette reconnaissance était pour Patry indispensable à la sauvegarde de la diversité culturelle, richesse pour l’humanité et but premier de la création des États fédéraux plurinationaux.
La pensée de Patry aura eu des échos à la conférence de Vienne sur le droit des traités, lors des débats sur le maintien ou non du projet d’article sur la capacité internationale des entités fédérées. L’essor de la « paradiplomatie » des entités infra-étatiques et l’évolution constitutionnelle de la Belgique attestent, avec l’action internationale du Québec, de la contribution de Patry à la doctrine et à la pratique du droit international public.
Charles-Emmanuel CÔTÉ Professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université Laval
Sources : P. Gérin-Lajoie, Allocution aux membres du Corps consulaire de Montréal, Montréal, 12 avril 1965 ; R. St. J. Macdonald, « An Historical Introduction to the Teaching of International Law in Canada », Ann. canadien de droit international, 1974, 67 ; R. Aird, André Patry et la présence du Québec dans le monde, Montréal, VLB éditeur, 2005 ; C. Rioux, « André Patry 1922-2012 : Le père de la doctrine Gérin-Lajoie n’est plus », Le Devoir, 4 juillet 2012 ; L. Bouchard, « Mort d’André Patry : la disparition d’un humaniste », La Presse, 6 juillet 2012 ; L. Beaudoin et J. Vallée, « André Patry 1922-2012 : La naissance de la diplomatie au Québec », Le Devoir, 10 juillet 2012 ; Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds André Patry ; Encyclopédie de l’Agora
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages et cours polycopiés
La République d’Haïti comme débouché pour le Canada, mémoire, Université Laval, 1945
Étude sur l’origine et l’évolution du service diplomatique et consulaire canadien, thèse, Université Laval, 1947
Les éléments de la politique étrangère du Canada, Québec, Service extérieur d’éducation sociale, Faculté des sciences sociales, Université Laval, 1947
Cours pratique de relations internationales, Québec, Presses universitaires Laval, 1955
Le pétrole et le Moyen-Orient arabe, Québec, Presses universitaires Laval, 1956
Le régime des cours d’eau internationaux, Québec, Presses universitaires Laval, 1960
Résumé du cours sur les institutions internationales, Québec, Presses de l’Université Laval, 1964
Le Québec dans le monde, Montréal, Leméac, 1980 (réédité en partie chez Typo en 2006)
La capacité internationale des États : l’exercice du « jus tractatuum », Sillery, Presses de l’Université du Québec, 1983
Articles et chapitres de livres
« Le régime des cours d’eau internationaux », Ann. canadien de droit international, 1963, pp. 172 et s.
« L’intégration européenne et le marché commun », Les Cahiers de droit, 1963, pp. 19-28
« Le Saint-Siège », Les Cahiers de droit, 1965, pp. 21-28
« La conception soviétique du droit international », Ann. canadien de droit international, 1971, pp. 102 et s.
« La capacité internationale des États fédérés », dans J. Brossard, A. Patry et E. Weiser (dir.), Les pouvoirs extérieurs du Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1967, pp. 19-100 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Presses de l’UdM)