MIRKINE-GUETZEVITCH

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

BORIS MIRKINE-GUETZEVITCH

(1892-1955)

 

Fils d’un journaliste libéral russe, Boris Mirkine-Guetzévitch naquit à Kiev (Empire russe) en 1892. Après des études à la Faculté de droit de Saint-Pétersbourg, il fut élevé au grade de docteur en droit en 1914 avant d’être magistrant (agrégé) en droit international en 1917. Il dut quitter sa Russie natale en 1920 pour s’installer en France après qu’il eut été condamné à mort par le régime bolchevik pour ses prises de position jugées trop subversives.

C’est également en France, pays dont il acquit la nationalité en 1933 et en épousa la doctrine, qu’il fit la connaissance de son célèbre gendre, le diplomate Stéphane Hessel. Poursuivi par la Gestapo du fait de ses origines israélites russes, Boris Mirkine-Guetzévitch dut se résoudre en 1940, à un nouvel exil, cette fois, aux États-Unis. La fidélité de ses sentiments envers la France fit qu’il y revînt régulièrement après la Guerre et y mourût en 1955 à la suite d’une grave opération pulmonaire.

Un critique de la doctrine soviétique de droit international

Boris Mirkine-Guetzévitch fut l’un des pionniers de la « soviétologie » qu’il fit connaître en Occident dans les années 1920 à travers plusieurs études critiques comme La Constitution de l’URSS (1925), sa chronique constitutionnelle russe à la Revue de droit public en 1925 ou la Théorie générale de l’État soviétique publiée en 1928 (préface de Gaston Jèze).

Du point de vue du droit international, ce qui caractérise la doctrine russe, c’est la suprématie du fait sur le droit — cantonnant ainsi le droit à une simple dimension instrumentale, technique et purement utilitaire — et la négation du droit objectif. Boris Mirkine-Guetzévitch opposa une virulente critique à cette « dictature extrajuridique » qu’il considère comme régressive car réfractaire à toutes les constructions du droit international (refus de l’arbitrage ; renonciation au principe majoritaire ; absence de liens conventionnels ; défense de la souveraineté absolue ; refus d’entrée dans la Société des Nations (SdN) ; affirmation du droit international particulariste au détriment de la création juridique objective).

Il se fit surtout connaître pour avoir relevé la contradiction entre la doctrine soviétique marxiste classique qui prêchait l’élimination de l’État d’une part, et le triomphe de l’intervention de l’État dans la société internationale et du maintien par celui-ci des rapports avec ses pairs, d’autre part. Cette tentative de construction d’une théorie de droit international autour des classes artificielles lui fit dire que le régime russe niait « le caractère juridique de l’État » et devait être considéré comme un « pouvoir de classe et non de citoyens », qui, en rompant tout lien avec le droit, finissait par s’exclure lui-même de la société internationale.

Un internationaliste à la recherche de la technique de la paix

Marqué par les événements de 1917 et 1918 (Révolution russe et accession des Bolcheviks au pouvoir après une éphémère république) qui ont conduit le régime russe à un exercice absolutiste du pouvoir, il va chercher dans le droit constitutionnel, la technique de la liberté, et dans le droit international, celle de la paix. La technique de la paix par le droit, il la trouve dans deux phénomènes intrinsèquement liés : l’unification du droit public au moyen de la pénétration du droit international dans les constitutions nationales et la garantie des droits de l’homme que ce soit dans ces constitutions ou dans l’ordre juridique international.

Il voit dans l’unité du droit public, un principe « connexe au problème général des rapports réciproques du droit international et du droit interne ». Contrairement à ses contemporains pour qui, la question demeure essentiellement théorique, Boris Mirkine-Guetzévitch y voit un problème empirico-historique. La science juridique n’étant pas uniquement abstraite, elle doit tenir également compte de l’évolution des institutions et des tendances historiques. Si « le droit public est un », le droit interne et le droit international ne sont que les « expressions de la conscience juridique » d’une époque donnée et le produit d’un même milieu historique. Cette application de la méthode historique aux phénomènes juridiques fait qu’il s’est rallié timidement, mais non de manière dogmatique au monisme. À ce titre, l’une des manifestations les plus nettes de cette unité du droit public se trouve dans l’exigence faites aux États, par la SdN, de mettre en harmonie leurs législations internes avec le Pacte sur des questions diverses comme la déclaration de guerre, l’enregistrement des traités, le désarmement, les changements territoriaux, la protection des minorités ou même plus largement, les droits de l’homme.

Sur ce dernier point, l’auteur soutient que depuis la fin de la Première Guerre mondiale et surtout depuis l’adoption de la Charte des Nations unies et de la Déclaration universelle de 1948, ces droits sont devenus un des éléments déterminants de la société internationale. Mieux encore, cette question a renouvelé la « conscience juridique internationale » et transformé radicalement le droit public, désormais plus généreux, plus pacifique. Il en déduit que la prise en compte par le droit international d’une problématique qui relève traditionnellement du droit interne des États ne fait que matérialiser l’unité du droit public (interne et international) et l’indivisibilité de la paix et du droit. C’est ce phénomène qu’il a appelé Droit Constitutionnel international.

Un courageux bâtisseur dans l’âme

Au-delà de ses nombreuses activités d’enseignement, il eut une intense et incomparable implication dans les sociétés savantes que ce soit en tant que secrétaire de l’Institut international de droit public ; de l’Institut de droit comparé de Paris ; en tant que vice-président de l’Académie internationale de science politique et d’histoire constitutionnelle ; de l’Institut international de philosophie politique ou même en tant que directeur d’une dizaine de revues (dont il contribua souvent à la création). C’est toutefois lors de son second exil qu’il réalisa l’œuvre de sa vie en étant la cheville ouvrière de la création pendant la Guerre, de l’École libre française de hautes études de New York dont il devint le Doyen.

Ce parcours extrêmement riche et exceptionnel lui valut d’accéder aux fonctions de Maître de recherches au CNRS (1930-1938) ; d’être élu membre correspondant de nombreuses académies en Espagne, en Italie, en Yougoslavie ou en République tchèque ; d’être sept fois lauréat de l’Académie des Sciences morales pour ses travaux et surtout, d’être invité cinq fois à professer un cours à l’Académie de droit international de la Haye : consécration ultime, puisque fort rare !

 

Léandre MVÉ ELLA  

Docteur en droit public, qualifié aux fonctions de maître de conférences

Enseignant-chercheur contractuel, Université de Picardie Jules-Verne
 

 

Sources : L. Julliot de la Morandière, « Nécrologie : Boris Mirkine-Guetzévitch », RIDC, vol. 7, n° 3, 1955, pp. 597-600 ; S. Pinon, « Les idées constitutionnelles de Boris Mirkine-Guetzévitch », in C. M. Herrera (dir.), Les juristes face au Politique (t. II), Paris, éd. Kimé, 2e trimestre 2005, pp. 61-124 ; « Boris Mirkine-Guetzévitch » curriculum vitae, RCADI, vol. 83, 1953, pp. 257-258

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

La Constitution de l’URSS, Paris, Giard, 1925

La théorie générale de l’État soviétique, Paris, Giard, 1928

Les traités internationaux de l’Europe orientale, Paris, Dotation Carnegie, 1929

Les Déclarations des Droits de l’Homme (avec A. Aulard), Paris, Payot, 1929

Droit Constitutionnel international, Paris, Sirey, 1933

Le Droit constitutionnel dans ses rapports avec le droit international public, Paris, Dotation Carnegie, 1934

Les Constitutions européennes, t. 2, Paris, Presses Universitaires de France, 1951

 

Cours

« L’influence de la Révolution française sur le développement du droit international dans l’Europe orientale », RCADI, vol. 22, 1928, pp. 295-457

« Droit international et droit constitutionnel », RCADI, vol. 38, 1931, pp. 307-465

« Le droit constitutionnel et l’organisation de la paix », RCADI, vol. 45, 1933, pp. 667-800 

« La technique parlementaire des relations internationales », RCADI, vol. 56, 1936, pp. 213-299

« Quelques problèmes de la mise en œuvre de la Déclaration universelle des droits de l’homme », RCADI, vol. 83, 1953, pp. 255-376

 

Articles

« La doctrine soviétique du droit international », RGDIP, 1925, pp. 313-337

« Le progrès du droit international », Revue politique et parlementaire, 1928, pp. 279-284

« Les tendances internationales des nouvelles constitutions européennes », L’Esprit international, n° 8, 1928, pp. 531-547

« Les nouvelles tendances du Droit constitutionnel », RDP, 1929, pp. 185-213

« La défense internationale des droits de l’homme », La République française, juillet 1946, pp. 8-13

« La protection internationale des droits de l’homme », Revue politique et parlementaire, octobre, 1946, pp. 3-16

« La défense des Droits de l’Homme et la Charte des Nations Unies », Bataille de la Paix, 1947, pp. 167 et s.

« Les tendances internationales des nouvelles constitutions », RGDIP, 1948, pp. 375-386

« Les clauses internationales des nouvelles constitutions », Bulletin interparlementaire, 1948, pp. 137 et s.

« Les constitutions et la vie internationale (I-II-III) », La République française, 1948, pp. 146 et s. ; 228 et s. ; 331 et s.

« La “Guerre Juste” dans le Droit constitutionnel français (1790-1946) », RGDIP, 1950, pp. 225-250

« L’ONU et la doctrine moderne des droits de l’Homme (Théorie-Technique-Critique) », RGDIP, 1951, pp. 161-198

« L’ONU et la doctrine moderne des droits de l’Homme (II) », RGDIP, 1952, pp. 34-60

 

Hommage

Hommage à Boris Mirkine-Guetzévitch (1892-1955), École libre des Hautes Études, New York, 1955