Portrait par G.-L. Degorce : Bibliothèque du Palais de la Paix
CHARLES LYON-CAEN
(1843-1935)
Charles Léon Caen est né le 25 décembre 1843 à Paris et il est décédé à Fontainebleau le 17 septembre 1935. Son père, Lyon Jacob Caen (1796-1870) était marchand tailleur. Quant à sa mère, Laure Picard (1812-1892), elle provenait d’une famille de négociants. Le 28 avril 1883, il obtient par jugement du tribunal civil de la Seine la modification de son nom de famille (il s’appelle dorénavant Lyon-Caen). Il se marie le 26 août 1872 avec une fille de magistrat, Louise Marguerite May (1854-1937), avec qui, il aura quatre enfants. Nombre de ses descendants sont devenus de célèbres juristes, à l’image de son fils aîné, Léon Lyon-Caen (1877-1967), premier président de la Cour de cassation, ou encore de l’un de ses petit-fils, Gérard Lyon-Caen (1919-2004), une référence en droit social.
Des études et une carrière universitaire brillantes
Elève au collège Sainte-Barbe et au lycée Condorcet, il commence ses études de droit en 1863 à la Faculté de droit de Paris en suivant les traces de son frère aîné, Léon Jules (1840-1919), devenu avocat. Etudiant brillant, il avait remporté le premier prix de droit romain et la première mention de droit français au concours de licence en 1864. En août 1866, il soutient ses thèses de droit romain (Action en partage de successions) et de droit français (Les partages d’ascendants), et les publie en hommage à son maître, Joseph Emile Labbé (1823-1894). En juin 1867, il est reçu major au concours d’agrégation générale en droit à 23 ans. Il s’était lié d’amitié avec deux autres agrégés, Louis Renault (depuis juillet 1862) qui sera son témoin de mariage et Paul Cauwès (1843-1917) le fondateur de la Revue d’Economie Politique.
C’est à la Faculté de droit de Nancy qu’il entame sa carrière universitaire et y enseigne le droit romain puis le code Napoléon. En mars 1872, il est de retour à la Faculté de droit de Paris où il donne un cours de législation industrielle avant d’enseigner également le Code civil (1878-1880) puis de nouveau le droit romain (1880-1892). A partir de 1889, il se tourne vers ses domaines de spécialités (droit commercial et maritime international, législations comparées) pour l’enseignement et en 1892, une chaire de droit maritime et commercial comparé est créée pour lui. Depuis son retour à Paris, il a enseigné aussi le droit commercial à l’Ecole libre de Sciences politiques (dès 1875) et à l’Ecole des Hautes Etudes commerciales (à partir de 1885). Doyen de la Faculté de droit de Paris de 1906 à 1909, il est réélu en novembre 1909 mais doit démissionner en février 1910 en raison de violentes manifestations, et de la campagne de presse antisémite menée notamment par l’Action française et la Libre parole. Il sera nommé doyen honoraire en mars 1910. En congé, régulièrement à partir de mai 1913, il prend sa retraite en avril 1919. Il aura été le maître de nombreux étudiants étrangers devenus célèbres, à l’image de l’économiste et historien, André Andréadès (1876-1935), du diplomate et homme politique roumain Nicolae Titulescu (1882-1941), ou encore du juriste franco-russe Iouda Tchernoff (1872-1950).
Le praticien, l’académicien et le conseiller-législateur
Lyon-Caen était aussi un praticien du droit. Avocat au barreau de Paris dès 1865, il exerce également à la Cour impériale de Nancy de 1867 à 1872. Membre de la Société de législation comparée dès son retour à Paris en 1872, il en devient le président en 1897-1898. Il s’implique dès 1880 au sein de l’Institut de droit international où il rejoint son ami Renault. Il présidera les sessions de Paris de l’Institut en 1910 et en 1934. Il devient aussi un véritable pilier de l’Académie des sciences morales et politiques après son élection le 25 novembre 1893 au Fauteuil VI de la section Législation, droit public et jurisprudence. Secrétaire perpétuel à partir du 12 janvier 1918, c’est à ce titre qu’il rédigera de nombreuses notices biographiques (René Stourm, Louis Renault, Louis Liard, l’abbé Grégoire, Alexandre Ribot, Auguste Beernaert…). Il rejoint aussi la société de l’histoire de Paris et d’Ile de France, l’Académie royale de Belgique (1910), la British Academy (1920), l’American Society of International Law (1924). Il sera le président du Curatorium de l’Académie de droit international de la Haye et de l’Académie internationale de droit comparé.
Le gouvernement fait appel à ses compétences dans un grand nombre de conseils, comités et commissions. Il représenta la France au sein des congrès de droit commercial à Anvers (1885) et à Bruxelles (1890) ou encore à des conférences internationales sur la propriété industrielle, la propriété artistique et littéraire et le droit maritime notamment. En 1910, il est délégué avec son ami Renault à la conférence de la Haye pour l’unification du droit relatif à la lettre de change et au billet à ordre. Enfin, il est membre de la délégation française, lors de la fondation de la Société des Nations après la première Guerre-Mondiale. Pour son engagement infatigable au service de la science du droit, il reçoit de nombreuses décorations étrangères ainsi que la Légion d’honneur (grand-croix en juillet 1934).
Un précurseur du droit commercial international et du droit comparé
Jeune agrégé à Nancy, il a travaillé sans relâche et a publié de nombreuses notes pour le Recueil de jurisprudence de Sirey et le Journal du Palais. Il se distingua déjà aussi par une étude sur La condition légale des sociétés étrangères en France (1870) avant de publier principalement des études de droit comparé dans les années 1870 à l’image d’une traduction du Code d’instruction criminelle autrichien (1875). Dans les années 1880, il s’impose comme l’un des pères français du droit commercial, par le biais de son Précis de droit commercial (1879-1885) en deux volumes qu’il a coécrit avec Renault, en 1879-1885. Du Précis découlera un Manuel de droit commercial (1887), toujours avec son alter ego Renault, réédité 15 fois jusqu’en 1928. Mais c’est surtout le Traité de droit commercial (1889-1893) en 4 volumes là encore avec Renault qui parachèvera son œuvre dans la discipline. Il sera réédité une cinquième fois avec André Amiaud en 8 volumes en 1921-1935. En dehors du droit comparé et du droit commercial, c’est dans le domaine du droit maritime international que Lyon-Caen publia le plus, là encore jusqu’à la fin de sa vie. A ces grandes œuvres doctrinales, il faut ajouter de nombreux articles également dans d’autres langues (italien, allemand, anglais) qu’il maitrisait très bien et des directions de revues à l’image de la Revue critique de législation et de jurisprudence (1888-1914). Enfin, même si Lyon-Caen a orienté le droit commercial français « dans le sens d’une prise en compte croissante des modèles étrangers et du droit international ou uniforme », force est par ailleurs de noter qu’« il reste très descriptif et prend rarement position sur les questions controversées » (J.-L. Halpérin).
Raphaël CAHEN
Chargé de conférences à l’EPHE
Professeur invité à la VUB
Chercheur postdoctoral à la JLU Giessen
Sources : Archives privées de la famille Lyon-Caen ; Archives Nationales, F17/22495 Dossier Charles Lyon-Caen ; Dossier de Légion d’honneur, Archives nationales, LH/2778/56 ; Gilbert Gidel (dir.), Dossiers relatifs à l‘Académie de droit international de La Haye. VII, Correspondance et documents relatifs au décès de Charles Lyon-Caen [Ressource électronique] : 1935-1937, Bibliothèque de la Sorbonne, MS 2469 ; Léon Lyon-Caen, Souvenirs du jeune âge : histoires, récits et impressions d’antan, 1912 ; Georges Blondel, « Charles Louis-Caen », Revue internationale de l’enseignement, 1936, vol. 90, p. 45-50 ; Jean-Paulin Niboyet, « Charles Lyon-Caen (1843-1935) », Revue critique de droit international, n° 1, 1936, p. I-XX ; Charles de Franqueville, Le Premier Siècle de l’Institut de France, t. I, Paris, Rothschild, 1895, n°1031, pp. 431-432 ; Notices biographiques et bibliographiques. Membres titulaires et libres, associés étrangers (1er juillet 1930)…, Paris, Académie des Sciences morales et politiques, 1930, p. 75-84 ; Albert Buisson, Notice sur la vie et les travaux de Charles Lyon-Caen, Paris, Publications de l’Institut de France, 1936, n° 20 ; Pierre-André Lalande, « Charles Lyon-Caen », Revue internationale de l’enseignement, 89, 1935, p. 235-237 ; Henri Capitant, « Le Doyen Charles Lyon-Caen », Revue critique de législation et de jurisprudence, 1936, pp. 5-8 ; J.-L. Halpérin, Dictionnaire historique des juristes français, Paris, PUF, 2007, pp. 522-523.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
De la condition légale des sociétés étrangères en France, Paris, Cottilon, 1870, 166 p.
Manuel de droit commercial, avec Louis Renault, Paris, Pichon, 1887 (15 éditions jusqu’en 1928)
Traité de droit commercial, avec Louis Renault, 8 vol., 1889-1899, 5 éditions
Traité de droit maritime, avec Louis Renault, Paris, 1894-1896, 2 vol.
Traductions
Code d’instruction criminelle autrichien, traduit et annoté avec Edmond Bertrand, Paris, SLC, 1875
Loi anglaise sur la faillite du 25 août 1883, Paris, Imprimerie nationale, 1888
Articles
« La Condition légale des sociétés étrangères par actions en France et en Autriche », Revue de législation française et étrangère, 1874, p. 335-350
« Étude sur le divorce en Autriche », Bulletin de la Société de législation comparée, 1882
Préfaces
Henri Lévy-Ullmann, Des obligations à primes et à lots, Paris, Larose, 1895.
James Brown Scott, L’évolution d’une juridiction internationale permanente : études et documents, Paris, Pedone, 1919
Alexandre Millerand, Choix de Plaidoyers, Paris, Fasquelle, 1921
Maurice Leven, De la nationalité des sociétés et du régime des sociétés étrangères en France, Paris, Rousseau, 1926
Jean Rault, Traité théorique et pratique des parts de fondateur et des groupements de porteurs de parts de fondateur, Paris, LGDJ, 1930
Paul-René Rosset, Les titres américains : les actions sans valeur nominale : les obligations convertibles et participantes, Paris, LGDJ, 1931
Rapport à la Société des Nations