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ARMAND LAINÉ
(1841-1908)
Né le 15 juin 1841 à Nérondes (Cher), Armand Lainé décède à Paris le 19 novembre 1908. Elève d’Emile Labbé, avocat à Paris, docteur en droit en 1866, agrégé des facultés de droit en 1874, il est d’abord affecté à Dijon. Il y enseigne le droit criminel. Nommé à Paris (1880), il prend en charge (1881) le cours de droit international privé. A la tête de la chaire éponyme (1895), il ouvre la voie à une prestigieuse lignée : A. Weiss (1908), A. Pillet (1926), E. Bartin (1928), H. Lévy Ullmann (1931), J.-P. Niboyet (1941), puis H. Batiffol (1952). Parallèlement, A. Lainé consulte et publie dans le domaine du droit international privé et de son histoire. Membre de l’Institut de droit international, du Comité consultatif du contentieux du ministère des Affaires étrangères, du Conseil de direction de la Société de législation comparée (1892-1895), il représente la France aux Conférences de La Haye de droit international privé de 1900 et 1904 (en tant que rapporteur de deux commissions en 1904). « Modeste jusqu’à l’effacement, consciencieux jusqu’au scrupule » (La Pradelle), c’est néanmoins une figure de proue dans le domaine du droit international privé.
Le tableau historique du droit international privé
Lainé est assimilé à ce livre, consacré à l’histoire, et intitulé : Introduction au droit international privé contenant une étude historique et critique de la théorie des statuts et des rapports de cette théorie avec le Code civil (2 vol., 1888-1892). L’œuvre repose sur un présupposé : il n’y a pas de solution de continuité entre le droit du XIXe et l’Ancien droit. Elle répond à un besoin : retracer les cheminements complexes de la discipline au travers des textes, des arrêts et de la doctrine. La conception de l’ouvrage est bien dans la manière de son auteur. C’est une fresque. Il s’attache à réunir des données, à collecter des matériaux et à les présenter dans un ordre chronologique. Pour en faciliter l’intelligence, il les a certes agencés, ordonnés, rapprochés et il a souligné les filiations. Mais il se garde d’imprimer une vision de l’histoire. Il ne faut pas se méprendre toutefois. Lainé est parfaitement apte à défendre un point de vue avec force. Livre d’histoire que cette introduction ? En réalité, livre d’histoire parce qu’inabouti. Si en l’état où il a été laissé, et en dehors de propos introductifs, l’essentiel des développements concerne l’histoire, l’ouvrage devait comporter trois autres livres, consacrés au droit positif de son temps. L’auteur n’a pu mener à bien ce projet. C’est au travers de ses articles, qu’hors recherches historiques, on peut néanmoins connaître sa pensée.
L’ébauche d’une doctrine
Les qualifications dont on use volontiers pour classer les auteurs sont souvent trop réductrices pour être exactes, trop abstraites pour être fidèles. La pensée de Lainé peine à s’y plier. Universaliste ou particulariste? A ses yeux, chaque Etat dispose du pouvoir d’édicter les règles de droit international privé qu’il estime appropriées. Mais il milite pour un rapprochement des solutions par voie de conventions internationales. Personnaliste ou territorialiste ? Lucide, conscient de la multiplicité des situations concrètes et de la variété des règles qu’elles appellent, Lainé répugne à rattacher la discipline à un seul concept, tel celui de la nationalité, qui en constituerait la clé. Malgré tout, dans le cadre des conventions à venir, il a proposé, s’affranchissant de la tradition, de soumettre la dévolution successorale à une loi unique, la loi de la nationalité. Bilatéraliste ? Sans doute dès lors qu’il raisonne sur la règle bilatérale de conflit dont use la jurisprudence et qu’a promu Savigny, même si pour lui la théorie des statuts, fortement imprégnée d’unilatéralisme, est aux sources de la matière. Au-delà, il souligne l’intérêt du droit comparé. Pour lui, le droit international privé est un droit prétorien, élaboré par le juge, voire un droit coutumier, plus qu’un droit savant aux mains de la doctrine. En tout cas, il suit avec attention la jurisprudence. Et s’il a présidé à la naissance de la Revue de droit international privé, aux côtés de Darras, qui lui confie la préface du premier numéro, c’est qu’il a pris conscience de son rôle.
La préscience de certaines solutions
S’expliquant sur le statut des personnes morales étrangères, il estime qu’elles peuvent se déployer sur le territoire français conformément aux droits que leur confèrent les règles de leur siège. Il défend l’idée que le juge doit connaître des litiges entre étrangers – compétence consacrée en 1948 (Patiňo) – et considère que la sentence arbitrale, acte juridictionnel, doit être traitée comme une décision de l’autorité étatique – solution définitivement acquise en 1981. Réexaminant la règle locus regit actum, il soutient que la référence à la loi du lieu de confection de l’acte est facultative et que l’acte est valable si sa forme répond aux exigences de la loi nationale de son auteur ou encore de la loi régissant le fond de l’acte. La solution sera consacrée en 1909 (Viditz) pour être généralisée en 1963 (The kid). De même, s’il met en avant la loi nationale, quand la loi de la dernière résidence s’est finalement imposée, il prône de lege ferenda le rattachement de la succession d’une loi unique, en rupture avec la tradition. Et c’est le droit positif depuis 2015. En revanche, il s’élève avec la plus grande énergie contre la jurisprudence admettant le renvoi. Et l’avenir lui donnera tort.
La postérité
Les travaux de Lainé, dans le domaine de l’histoire, ont été éclipsés par ceux de Neumeyer (1916), Gutzwiller (1929), Meijers (1914, 1922 et 1934). Entre autres, se reportant aux recueils d’arrêts, Meijers a montré le rôle essentiel de la jurisprudence quand Lainé ne la connaissait que de seconde main. Le travail de Lainé reste néanmoins utile. Il l’est à raison de la richesse des informations qu’il contient. Il l’est également à raison des traductions qu’il livre au public. Si on quitte le domaine de l’histoire, un constat s’impose. Un monde sépare les auteurs de la fin du XIXe siècle tel Lainé, des auteurs du milieu du XXe siècle. Ils ont peu de choses en commun, notamment, avec l’œuvre magistrale de Batiffol, qui a su donner à la matière de la hauteur, de l’ampleur et de la profondeur et porter la discipline, articulée autour de la règle bilatérale de conflit, à un point de perfection. Mais pour que l’œuvre d’un Batiffol puisse éclore, il fallait sans doute la puissance d’un Bartin, la finesse d’un Lerebours-Pigeonnière, l’ouverture d’un Maury. Or ces auteurs se sont eux-mêmes appuyés sur ceux qui les ont précédés, et notamment sur Lainé. La règle bilatérale de conflit, d’origine coutumière, qu’a pratiquée le XXe siècle, ne fait-elle pas écho, si même cet écho est lointain et assourdi, aux travaux de Lainé ?
Dominique FOUSSARD
Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation
Président du Comité français de droit international privé
Sources : AN. F1722935 ; B. Ancel, Eléments d’histoire du droit international privé, éd. Panthéon-Assas, 2017, 624 p. ; B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz, 2006, n°19 (Labedan), n°40 (The Kid), n°48 (société Diac) ; E. Chavegrin, c.r., Introduction au droit international privé…, Bulletin de la Société de législation comparée, juillet 1889, p. 788-789 ; J.-L. Halperin, Entre nationalisme juridique et communauté de droit, PUF, Voies de droit, 1999, 216 p. ; J.-L. Halperin, v° Lainé (J.-A.), Dictionnaire historique des juristes français, XII-XXème siècles, PUF-Quadrige, 2015 ; Journal des débats politiques et litteraires, 24 novembre 1908, p. 3, dernière col. ; F. Larnaude, c.r., Introduction au droit international privé…, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1889, p. 71-75, 1892, p. 505 ; Le Figaro, 24 novembre 1908, p. 3, 1èrecol. ; M. Leroy-Beaulieu, Bulletin de la Société de législation comparée, janvier 1909, p. 76-77 ; J.-C. Matthys, « La philosophie politique du Marquis de Vareilles-Sommières, doyen de la Faculté catholique de droit de Lille de 1875 à 1905 », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1993, pp. 1-91, spéc., p. 82-83 ; Pillet, « L’œuvre de M. Lainé », Revue de droit international privé, 1909, p. 1-11 ; G. Richard, Enseigner le droit public à Paris sous la Troisième République, Préf. J.-L. Halperin et E. Millard, Dalloz 2015, 950 p. ; Rivier, c.r., Introduction au droit international privé…, Revue de droit international et de législation comparée, 1888, p. 627-632 ; X., c. r., Introduction au droit international privé…, Bulletin bibliographique Sirey,1889, p. 9-10 ; 1893, p. 36-37 ; Siprojuris, v° Armand Lainé
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
Qui potiores in pignore etc. (Dig, XX, IV), en droit romain. De la subrogation à l’hypothèque légale de la femme en droit français, Impr. de Mocquet, 1866
Traité élémentaire de droit criminel, A. Cotillon et Cie, 1881
Introduction au droit international privé contenant une étude historique et critique de la théorie des statuts et des rapports de cette théorie avec le Code civil,Librairie Cotillon, F. Pichon, succr., deux vol., 1888 et 1892
Des personnes morales en droit international privé, Marchal et Billard, 1893.
La réforme de la licence en droit et l’enseignement du droit international, Impr. F. Levie, 1905
La théorie du renvoi en droit international privé, Sirey, 1909 (extrait de la Revue de droit international privé 1907, 1908, 1909)
Articles
« Le droit international privé en France, considéré dans ses rapports avec la théorie des statuts », JDI, 1885, pp. 129-143, 249-265 ; 1886, pp. 146-161 ; 1887, pp. 21-31
« Des personnes morales en droit international privé », JDI, 1893, pp. 273-309
« La conférence de la Haye relative au Droit international privé », JDI, 1894, pp. 5-25, pp. 236-255 ; 1895, pp. 465-484, pp. 734-757 ; 1901, pp. 5-35, pp. 231-253, pp. 918-935 ; 1905, pp. 797-815 ; 1906, pp. 5-26, pp. 278-301, pp. 618 à 628 ; 1907, pp. 897-921
« De l’application des lois étrangères en France et en Belgique », JDI, 1896, pp. 241-261, pp. 481-494
« De l’application des lois étrangères en France et en Belgique », JDI, 1897, pp. 449-466, pp. 701-720, pp. 963-985 ; 1898, pp. 57-73
« Considérations sur le droit international privé. A propos d’un livre récent : La synthèse du Droit international privé de M. le comte de Vareilles-Sommières », La synthèse du droit international privé,Revue critique de législation et de jurisprudence, 1899, pp. 613-625 ; 1900, pp. 20-46, pp. 83-93, pp. 216-227, pp. 350-374
« Considérations sur l’exécution forcée des jugements étrangers en France », Revue critique de législation et de jurisprudence, 1902, pp. 612-627 ; 1903, pp. 86 -98, pp. 230-239, pp. 491-512, pp. 533-551 ; 1904, pp. 88-105
« Rôle, fonction et méthode du Droit comparé dans le domaine du droit international privé », Congrès international de droit comparé, procès-verbaux des séances et de documents,t. 1, LGDJ, 1905-1907, pp. 327-338
Consultations
Succession de la reine Marie-Christine d’Espagne, JDI, 1899, p. 611 (avec Pierrantoni)
Affaire de Wrède, Pandectes françaises, 1900, 5, pp. 33-40 (avec A. Weiss)