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HENRY DUNANT
(1828-1910)
Jean Henry Dunant nait le 8 mai 1828 à Genève, au sein d’une famille bourgeoise et protestante. Son père, négociant, siège à la Chambre des tutelles et curatelles, qui prend en charge les orphelins de la ville. Son grand-père maternel dirige l’hôpital général de Genève. La vie de Dunant va s’inscrire dans cette lignée humaniste et charitable et prendre rapidement une dimension internationale. Comme le note une de ses nombreuses biographies, « il est rare que la vie des héros se plie parfaitement aux mythes qu’ils ont engendré » (C. Chaponnière). Les récits de la vie de Dunant et sa contribution au droit humanitaire varient à de nombreux égards : son « caractère entier et difficile » (J.-G. Lossier) ainsi que son isolement paranoïaque à la fin de sa vie contribuent à la construction de sa légende.
Un entrepreneur malheureux
Dunant, élevé dans la foi chrétienne, crée en 1852 l’Union chrétienne de jeunes gens de Genève. Il participera au mouvement international de ces Unions, lancé en 1955 à Paris et plus connu sous son acronyme anglophone : YMCA.
Employé de la Compagnie des colonies suisses de Sétif, il fait de nombreux allers-retours vers l’Algérie et la Tunisie dès 1853. Il consigne ses impressions et observations de ces voyages dans son premier ouvrage, paru en 1858 : Notice sur la régence de Tunis. Il souhaite poursuivre ces activités en exploitant un moulin à côté de Sétif, en Algérie. Les démarches qu’il entame pour obtenir davantage de terrains demeurent infructueuses. Ces difficultés et sa ténacité vont l’amener à rechercher l’attention de Napoléon III, jusque sur les champs de bataille.
Ses liens familiaux et ses affaires lui permettent de se faire connaitre des milieux mondains en Europe, ce qui contribuera à la diffusion de ses idées. Cependant, ses entreprises resteront sans succès, qu’il s’agisse de la Société des Moulins de Mons-Djemila, de la Société internationale universelle pour la Rénovation de l’Orient ou de la commercialisation du pyrophone.
La création du CICR
En 1859, par un « concours de circonstances particulières » (Un souvenir de Solférino, p. 5), Dunant se retrouve sur le champ de bataille de Solférino. Il y constate le peu d’attention dont font l’objet les blessés de guerre, délaissés et mal soignés. En 1862, il publie l’ouvrage qui lui offrira la postérité, Un souvenir de Solférino, dans lequel il relate les horreurs dont il a été témoin, pour proposer la création, « pendant une époque de paix et de tranquillité, […] des sociétés de secours dont le but serait de faire donner des soins aux blessés, en temps de guerre, par des volontaires zélés, dévoués et bien qualifiés pour une pareille œuvre » (p. 102).
Cette idée permet de pallier l’insuffisance de l’armée dans les secours aux blessés à plusieurs points de vue. D’une part, ce corps permanent, actif en temps de guerre mais aussi en temps de paix, serait composé de volontaires, et fonctionnerait indépendamment, bien que sous l’égide de l’armée. D’autre part, ces secours seraient neutres : ils soigneraient sans distinction tous les blessés de guerre et seraient protégés des hostilités, en arborant un signe distinct des uniformes des forces armées.
L’ouvrage, bien que non commercialisé et donc réservé aux connaissances de Dunant, va connaitre un franc succès. C’est sa rencontre avec le juriste Gustave Moynier qui permettra à ses propositions de se concrétiser. Ce dernier, qui préside la Société genevoise d’utilité publique, propose à celle-ci de créer une commission de cinq membres avec pour mission d’étudier la proposition de création d’un « corps d’infirmiers volontaires pour les armées en campagne » (séance du 9 février 1863).
Ce comité, composé de Moynier, Dunant, du général Dufour et des docteurs Louis Appia et Théodore Maunoir, créera quelques jours plus tard le Comité international de secours aux blessés (séance du 17 février 1863 de la commission spéciale de la Société en faveur des Militaires blessés durant les guerres), qui deviendra par la suite le Comité international de la Croix-Rouge. Dunant, naturalisé français dès 1859, sera également à l’initiative de la Société française de la Croix-Rouge.
La Convention de Genève de 1864
L’intervention d’un corps de secours sur les champs de bataille ne serait possible sans que « des princes de l’art militaire, appartenant à des nationalités différentes, [formulent] quelque principe international, conventionnel et sacré, lequel, une fois agréé et ratifié, servirait de base à des Sociétés de secours pour les blessés dans les divers pays de l’Europe » (Un souvenir de Solférino, p. 113).
Après l’annulation d’une conférence de bienfaisance à Berlin au cours de laquelle il devait présenter une résolution, le comité international prend l’initiative de convoquer lui-même une conférence internationale. Dunant va mobiliser l’ensemble de ses accointances et parcourir l’Europe pour assurer le succès de la Conférence de Genève en 1863. Il ajoutera, in extremis, la question de la neutralité des secours à l’invitation des grandes puissances. 14 Etats et six sociétés philanthropiques furent représentés lors de cette première conférence à l’issue de laquelle des résolutions en faveur de la création de comités nationaux au service de la santé des armées furent adoptées.
Dunant se mobilise également dans l’organisation de la Conférence diplomatique de Genève de 1864. Il sera cependant très peu investi dans les débats qui aboutiront à la Première Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, signée le 22 août 1864 par 16 Etats. Cette convention pose les bases du droit international humanitaire et affirme la neutralité des secours et des blessés.
Prix Nobel de la Paix
Dunant fait faillite en 1867 et se voit contraint de démissionner du CICR. Il continuera à développer sa pensée humaniste, de manière plus confidentielle. Il participera à la création de l’Alliance universelle de l’ordre et de la civilisation en 1871, qui émettra des propositions en matière de traitement des prisonniers de guerre ou en faveur de la création d’un tribunal arbitral entre les Nations, sans grand succès. Bien que ses écrits paraissent mesurés aujourd’hui, Dunant s’affirme également comme un opposant à l’esclavage et un féministe engagé pour l’époque.
Après une « errance » de quelques années en Europe, il s’installe à Heiden en 1892. Il tombe peu à peu dans l’oubli jusqu’à ce qu’une série d’articles le réhabilite et conduise, en 1901, à lui décerner le premier Prix Nobel de la paix, conjointement avec Frédéric Passy. Il décède le 30 octobre 1910, ruiné et retiré de la vie sociale.
Marie GUIMEZANES
Maîtresse de conférences à l’Université de Bretagne occidentale
Sources : « Gustav Moynier, 1829-1910. Henri Dunant, 1828-1910 », The American Journal of International Law, 1911, Vol. 5, n° 2 pp. 459-463 ; P. Boissier, « Henry Dunant », Revue internationale de la Croix-Rouge, 1974, n° 668 ; C. Chaponnière, Henry Dunant : La croix d’un homme, Perrin, Paris, 2010, 519 p. ; Croix-Rouge Suisse, « 1910-2020 : l’héritage oublié d’Henry Dunant », 2018 ; F. Gigon, Henri Dunant. L’épopée de la Croix-Rouge, Gallimard, 1960, 27 p. ; P. Guichonnet, « Dunant Henri (1828-1910) », Encyclopædia Universalis ; W. Heudtlass, « A la lumière de documents inédits. Quelques aspects d’Henri Dunant », Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, 1955, n° 437 ; J.-G. Lossier, « Les « Mémoires » d’Henry Dunant », Revue Internationale de la Croix-Rouge, 1971, n° 629, pp. 269-276 ; Compte-rendu de la Conférence internationale de Genève, 26-29 octobre 1863.
Note : de nombreux ouvrages sur la vie de Dunant, ainsi que ses propres écrits sont sujets à caution, notamment en raison des contradictions au sein des écrits de Dunant lui-même.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
Notice sur la Régence de Tunis, J.-G. Fick, Genève, 1858
Un souvenir de Solférino, J.-G. Fick, 1862
Rapport