Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général
CHRISTIAN DOMINICÉ
(1931-2021)
Représentant éminent de la doctrine suisse du droit international, Christian Dominicé est né le 16 juillet 1931 à Genève, où sa famille est établie depuis le XVIe siècle. Après sa « Maturité classique » (1949), il obtient sa Licence en droit à l’Université de Genève (1952). Titulaire du brevet d’avocat du Barreau de Genève (1954), et après un séjour à l’Université de Bonn (1955), il valide un Master of International Affairs à l’Université Columbia en 1958. De retour à Genève, il prépare puis soutient une thèse de doctorat en droit international humanitaire sous la direction de Paul Guggenheim, duquel il a été l’assistant. Celle-ci porte sur La notion du caractère ennemi des biens privés dans la guerre sur terre (1961).
Une carrière exemplaire
La carrière universitaire de Dominicé débute la même année, en 1961, à l’Université de la Cité de Calvin où il devient chargé de cours. Promu Professeur titulaire en 1964, il accède aux fonctions de Doyen de la Faculté de droit en 1969, poste qu’il occupera durant cinq ans. À partir de 1978, il rejoint l’Institut universitaire des hautes études internationales (aujourd’hui IHEID), qu’il dirigera entre 1978 et 1984. Durant la suite de sa carrière, il partagera son temps entre ces deux institutions, auxquelles il aura « dédié toute sa vie d’enseignant » (M. Stettler et A. Swoboda). Par ailleurs, Dominicé assurera de nombreux enseignements à l’étranger. Entre autres, il s’engagera durant un an à l’Université des Indes occidentales à Trinité-et-Tobago (1967-1968) ; sera Professeur invité à l’Université Paris Nanterre (1989-1990), à l’Université Montesquieu – Bordeaux IV (2000) ou encore à l’Université Paris Nord (1997) qui lui délivre le titre de docteur Honoris causa en 1996.
Parallèlement à ses activités universitaires, le Professeur genevois fut tourné vers la pratique du droit international en exerçant une activité soutenue de jurisconsulte pour de nombreux organismes, États et organisations internationales. On mentionnera, par exemple, sa participation à la défense des intérêts de l’UNESCO dans le différend qui l’opposait à la France en matière fiscale. En 1995, il fut désigné par la Suisse membre de la Cour de conciliation et d’arbitrage dans le cadre de l’OSCE, prévue par la Convention de Stockholm du 15 décembre 1992, en qualité d’arbitre.
La carrière de Dominicé est aussi liée à l’Institut de droit international. Élu membre associé en 1983, lors de la session de Cambridge, puis membre titulaire en 1987, il marquera l’institution de son empreinte en occupant le poste de Secrétaire général de l’institution entre 1991 et 2003, puis de Premier Vice-Président jusqu’en 2005.
Un grand généraliste
« Illustre grammairien du droit » (P.-M. Dupuy), Christian Dominicé est un auteur prolifique ayant publié plus d’une centaine d’articles au cours de sa carrière. On peut affirmer sans risque que tout internationaliste l’a déjà lu, et ses contributions sont largement référencées et citées par la doctrine et même les décisions de tribunaux internationaux (par ex. dans la sentence rendue dans l’affaire du Rainbow Warrior).
On relèvera que la bibliographie de l’auteur se distingue par une certaine diversité, un éclectisme qui peut se résumer à la phrase de R. Kolb – l’un de ses anciens assistants, au même titre que D. Tehindrazanarivelo ou M. Kohen – disant qu’il était « l’un des derniers grands généralistes ». Il est peu de sujets sur lesquels le Professeur Dominicé n’ait écrit, tant et si bien que toute tentative de catégorisation serait simplificatrice. S’il on s’y risque néanmoins, on peut réunir ses écrits dans quatre catégories, qui ont été celles choisies par les éditeurs du Recueil d’études publié en son honneur en 1997 (L’ordre juridique international. Entre tradition et mutation), qui reproduit de nombreuses contributions souvent disséminées dans des mélanges.
La théorie générale du droit international public, tout d’abord, avec de nombreuses contributions sur la théorie, la méthodologie, les sources ou encore la personnalité juridique internationale. L’organisation internationale, ensuite, à laquelle il a consacré son cours spécial à l’Académie de droit international en 1984 portant sur l’immunité de juridiction des organisations internationales. Le droit de la responsabilité internationale, domaine duquel Dominicé était un spécialiste reconnu ; et, enfin, une série d’écrits sur la Suisse, sa pratique et ses rapports avec le droit international public.
Un positiviste humaniste
Derrière l’amplitude de la bibliographie de l’auteur, « s’impose la cohérence d’une réflexion qui sait mêler les approches techniques du positivisme et les préoccupations éthiques de l’idéalisme juridique » (E. Decaux). En effet, si les écrits du Professeur genevois reflètent, globalement, une approche de technique juridique, cette adhésion aux positivisme juridique, entendu classiquement, doit être relativisée.
Dans la conclusion de son cours général à l’Académie de droit international de La Haye (dispensé en 2006), intitulé La société internationale à la recherche de son équilibre, Dominicé se qualifiait lui-même de « positiviste empirique d’orientation humaniste ». Cette approche se caractérise par « la recherche la plus adéquate possible du droit existant, des normes du droit international en vigueur ». Cependant, s’éloignant des positivismes classiques, il se réclame d’une méthode empirique (ou pourrait-on dire pragmatique) et entend par là apporter un regard moderne et évolutif sur le droit international, repoussant une démarche passéiste ; n’hésitant pas à mobiliser de nouveaux facteurs de l’évolution du droit des gens, tels « l’influence des acteurs économiques, l’impact des groupes armés non étatiques et des terroristes, les actions des organisations internationales, tant gouvernementales que non gouvernementales ». Loin d’une démarche idéologique, au mauvais sens du terme, l’orientation humaniste a pour objet de « colorer en quelque sorte la méthode positiviste empirique ». Autrement dit, elle « fournit des critères de choix lorsque de tels choix sont nécessaires, par exemple dans l’interprétation des textes » ; ou encore dans la détermination du droit international coutumier. Cette méthode témoigne, nous semble-t-il, d’une caractéristique de l’auteur d’être un « progressiste modéré » (R. Kolb).
Tiphaine DEMARIA
Maître de conférences à Aix-Marseille Université
Sources : « Notice biographique » et « Avant-propos » (M. Stettler et A. Swoboda) in L’ordre juridique international entre tradition et innovation. Recueil d’études, Genève, Graduate Institute, 1997 ; « préface » et « note bibliographique » (M. Kohen, R. Kolb, D. L. Tehindrazanarivelo, in Perspectives of International Law in the 21st century / Perspectives du droit international au 21e siècle. Liber amicorum Professor Christian Dominicé in honour of his 80th birthday, Leiden, Martinus Nijhoff, 2012 ; « Hommage à Christian Dominicé », organisé à Genève le 8 avril 2021 ; « compte-rendu » (E. Decaux, in Politique étrangère, 1998).
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
On retrouvera des bibliographies plus complètes de l’auteur ici et ici.
Ouvrages
La notion du caractère ennemi des biens privés dans la guerre sur terre
L’ordre juridique international entre tradition et innovation. Recueil d’études, Genève, Graduate Institute, 1997.
Cours
La société internationale à la recherche de son équilibre (Cours général de droit international public), RCADI, Volume 370, 2014
L’immunité de juridiction et d’exécution des organisations internationales, RCADI, Volume 187, 1984
Problèmes actuels des immunités internationales, Cours Euro-Méditerranéen Bancaja de Droit international, 1998 [en pièce-jointe]
La souveraineté étatique : continuité et mutations, Médiathèque de droit international des Nations Unies
Articles
« A propos du principe de l’estoppel en droit des gens », Recueil d’études de droit international en hommage à Paul Guggenheim, Genève, Institut universitaire de hautes études internationales, 1968, pp. 327-365
« Observations sur la définition du droit des gens », Festschrift für Rudolf Bindschedler, Bern, Stämpfli, 1980, pp. 71-90
« Observations sur les droits de l’État victime d’un fait internationalement illicite », Droit international 2, Paris, A. Pedone, 1982, pp. 1-70.
« La satisfaction en droit des gens », Mélanges Georges Perrin, Lausanne, Payot, 1984, pp. 91-121
« Methodology of International Law », Encyclopedia of Public International Law, Amsterdam, North-Holland, vol. 7, 1984, pp. 334-339
« La réparation non contentieuse », La responsabilité dans le système international, SFDI, Colloque du Mans, Paris, Pedone, 1991, pp. 191-233 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
« Le règlement juridictionnel du contentieux externe des organisations internationales », Mélanges Virally, Paris, Pedone, 1991, p. 225-238
« La sécurité collective et la crise du Golfe », European Journal of International Law, 1991, vol. 2, pp. 85-109.
« Le grand retour du droit naturel en droit des gens », Mélanges en l’honneur de Jacques-Michel Grossen, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1992, pp. 399-409.
« De la réparation constructive du préjudice immatériel souffert par un État », Le droit international dans un monde en mutation, Liber amicorum en hommage au Professeur Eduardo Jiménez de Aréchaga, Montevideo, FCU, 1995, pp. 505-522.
« La Cour internationale de Justice et l’éthique des relations internationales », Balance y perspectivas de Naciones Unidas en el cincuentenario de su creación, Boletin Oficial del Estado, Madrid, 1996, pp. 221-231.
« La personnalité juridique dans le système du droit des gens », in Essays in Honour of Krzysztof Skubiszewski, The Hague, Kluwer Law International, 1996, pp. 147-171.
« Valeur et autorité des actes des organisations internationales », in R.-J. Dupuy (dir.), Manuel sur les organisations internationales, Kluwer Law International, 1998, pp. 441-461.
« Quelques observations sur l’immunité de juridiction pénale de l’ancien Chef d’État », Revue générale de droit international public, 1999, tome 103/2, pp. 297-308 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
« The International Responsibility of States for Breach of Multilateral Obligations », European Journal of International Law, vol. 10, 1999, pp. 353-363.
« Observations sur le contentieux des organisations internationales avec des personnes privées », Annuaire français de droit international, 1999 (vol. XLV), pp. 623- 648.
« Responsabilité des États et responsabilité internationale », La Commission du droit international cinquante ans après, New York, Nations Unies, 2000, pp. 30-42.
« La compétence prima facie de la Cour internationale de Justice aux fins d’indication de mesures conservatoires », Liber amicorum Judge Shigeru Oda, Kluwer Law International, 2002, pp. 383-395.
« Les collectivités territoriales non-étatiques et la formation du droit international », in SFDI, Les collectivités territoriales non-étatiques dans le système juridique international, Paris, Pedone, 2002, pp. 55-62 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
« La responsabilité internationale des Nations Unies », in J.-P. Cot, A. Pellet et M. Forteau (dirs.), La Charte des Nations Unies : commentaire article par article, Paris, Economica, 2005, pp. 141-162 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions Economica)
Hommages
Perspectives of international law in the 21st century / Perspectives du droit international au 21e siècle. Liber amicorum Professor Christian Dominicé in honour of his 80th birthday, Leiden, Martinus Nijhoff, 2012