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ANTONIO CASSESE
(1937-2011)
Antonio Cassese, né à Atripalda, Italie, en 1937, a commencé sa carrière comme professeur, à l’Université de Pise de 1972 à 1974, puis à l’Université de Florence, à partir de 1975, où il enseigne jusqu’en 2008.
Professeur mondialement reconnu et auteur prolifique
Rapidement, il s’impose dans les sphères européenne puis mondiale. Il devient en effet professeur à l’Institut universitaire européen de 1987 à 1993. Il participe à la fondation du European Journal of International Law (1990) et fonde le Journal of International Criminal Justice (2003) dont il devient le premier rédacteur en chef. En 1995, il rejoint l’Institut de droit international. Il obtient un doctorat honoris causa de plusieurs universités (Rotterdam, Nanterre, Genève, Athènes), ainsi que divers prix (Prix international de l’Académie universelle des cultures en 2002 ; Prix Erasme en 2009). En 2005, il est également fait Chevalier de l’Ordre du mérite de la République italienne.
Auteur prolifique, il publie sur le droit international général et ses défis contemporains, sur la justice internationale pénale, sur le droit international humanitaire et sur les droits humains. En tant qu’universitaire, et à travers ses fonctions judiciaires, il devient un pionnier et une figure incontournable du droit international public. La combinaison de son expérience comme juriste et comme professeur permet à sa contribution académique d’être pratique et réaliste, collée à la réalité et à ses défis contemporains.
Plusieurs de ses ouvrages constituent des « incontournables », souvent considérés par ses proches et ses collègues comme d’importants pans de son héritage pour le développement du droit international (International Law in a Divided World ; Self-Determination of Peoples : a Legal Appraisal ; ses manuels International Law et International Criminal Law etc.). Puisqu’il aspire à rendre le droit accessible en dehors de la sphère académique, nombre de ses ouvrages (Violence and Law in the Modern Age ; Terrorism, Politics, and the Law : The Achille Lauro Affair etc.) sont publiés à l’intention d’une audience plus vaste, ce qui lui vaut la réputation de vulgarisateur du droit. Il publie également fréquemment dans les quotidiens ou les périodiques d’actualité destinés au grand public.
Dans l’arène
A partir de la fin des années 1960, il représente le gouvernement italien lors de nombreuses conférences diplomatiques des Nations Unies, ce qui ne l’empêche pas de s’impliquer, notamment aux côtés de Lelio Basso et François Rigaux, dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits des peuples (1976) et dans la création du tribunal permanent des peuples (1979). Il préside également le Comité directeur pour les droits de l’homme du Conseil de l’Europe en 1987 et 1988. En 1989, il devient le premier président du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe, où il siège jusqu’en 1993. Son expérience en son sein le mène à publier, dans la controverse, Inhuman States : Imprisonment, Detention and Torture in Europe Today, un ouvrage qui présente un bilan mitigé de la situation des droits de l’homme en Europe, région qui s’affiche pourtant comme le chef de file de leur défense et de leur protection. Dès 1998, au sein du Conseil des Sages de la Commission européenne, il co-rédige Human Rights Agenda for the European Union for the Year 2000, qui mène à la publication de deux ouvrages, The EU and Human Rights et Leading by Example. Le postulat principal du rapport est que le cadre européen de protection des droits humains en Europe est trop fragmenté pour remplir de manière adéquate son rôle de protection.
De 1993 à 1997, Antonio Cassese devient le premier président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), où il siège ensuite comme juge permanent jusqu’en 2000. En tant que président – et figure paternelle – du tribunal, il insiste pour que les chefs hiérarchiques, plutôt que les exécutants du bas de l’échelle, soient poursuivis, en raison notamment des ressources limitées du tribunal. Il est un président insistant, et son bagage de droit civil le place en relation de coopération et de dialogue – au risque d’outrepasser ses fonctions, ce qu’il admet avec candeur plus tard – avec le Procureur au sujet de la stratégie de poursuite. La présence du président et son rôle de leader sont pour lui centraux à l’existence d’un tribunal international. Le manque de leadership au sein du tribunal est d’ailleurs l’une des critiques qu’il adresse dans son rapport d’expert indépendant sur l’efficacité du Tribunal spécial pour la Sierra Leone en 2006.
C’est en tant que juge pour le TPIY qu’il développe le concept d’entreprise criminelle commune, mode de responsabilité sous lequel plusieurs accusés seront condamnés. Il rédige pour la Chambre d’appel du TPIY en 1995 la cruciale décision sur la compétence du tribunal dans l’affaire Tadić, qui établit notamment que des crimes de guerre peuvent être commis non seulement lors de conflits armés internationaux, mais également lors de conflits armés non-internationaux. En tant que juge tout comme dans ses publications académiques, il est reconnu pour aller au-delà de la lettre du droit international pénal, encore peu développé lorsqu’il y fait son entrée, pour suivre plutôt l’esprit du droit, pousser son développement plus avant. C’est l’une des raisons pour lesquelles sa contribution au droit international pénal contemporain est si substantielle. Il croit néanmoins que, si le droit doit être discuté et érigé, il ne doit pas être trop rigide. Son développement, même visionnaire, doit être réaliste.
En 2004, il est nommé par le Secrétaire général des Nations Unies pour présider la Commission internationale d’enquête sur le Darfour, dont le rapport débouchera sur la résolution 1593 (2005) par laquelle le Conseil de sécurité défère la situation au Darfour à la Cour pénale internationale. En 2008-2009, il co-préside, aux côtés de Mohammed Bedjaoui, le groupe de travail sur la compétence universelle, établi par l’Union européenne et l’Union africaine. Il devient également le premier président du Tribunal Spécial pour le Liban en 2009, puis juge à sa chambre d’appel jusqu’à sa démission pour des raisons de santé le 1er octobre 2011. Il participe notamment à la rédaction de la décision sur la compétence du tribunal, dans laquelle est proposée une définition du terrorisme en droit international coutumier, concept peu consensuel, puisant à la fois dans le droit libanais et dans le droit international.
Antonio (« Nino ») Cassese meurt à Florence le 21 octobre 2011, hautement regretté dans les sphères académiques et judiciaires du droit international, où il est respecté et aimé, et où l’on reconnaît volontiers sa passion, sa modestie, son érudition, et sa contribution énorme au droit international contemporain.
Fannie LAFONTAINE
Professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux « Esclave » de Nino à la Commission internationale d’enquête sur le Darfour (2004-2005)
* L’auteure remercie Mme Camille Marquis-Bissonnette pour sa contribution appréciée à la préparation de ce portrait
Sources : H. V. Stuart, The Prosecutor and the Judge : Benjamin Ferencz and Antonio Cassese : Interviews and Writings, Amsterdam, Pallas Publications, 2009, 192 p. ; Academia Europaea, « Antonio Cassese» ; Antonio Cassese Initiative for Justice Peace and Humanity, « Antonio Cassese : Among the most distinguished figures in international law and international criminal justice» ; European Journal of International Law, « About the EJIL » ; Journal of International Criminal Justice, « About the Journal » ; S. Zappala, « Personal Remarks on Antonio Cassese and His Vision of International Law and International Criminal Justice along the Road He Walked », Leiden Journal of International Law, 2012, vol. 25, n° 2, p. 503. ; Tribunal special pour le Liban, « Le Juge Antonio Casesse est décédé » ; Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, « Les anciens présidents »
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Monographies
Current Problems of International Law : Essays on UN Law and on the Law of Armed Conflict, Milano, Giuffrè, 1975, 375 p.
International Law in a Divided World, Oxford, Clarendon Press, 1986, 429 p. (trad. française : Le droit international dans un monde divisé, Paris, Berger-Levrault, 1986, 375 p.)
Violence and Law in the Modern Age, Princeton University Press, 1988, 194 p.
Terrorism, Politics and Law: the Achille Lauro Affair, Princeton, Polity Press, 1989, 162 p.
Human Rights in a Changing World, Cambridge, Polity Press, 1990, 245 p.
Violence et droit dans un monde divisé, Paris, Presses universitaires de France, 1990, 223 p.
Self-Determination of Peoples : a Legal Appraisal, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, 375 p.
Inhuman States: Imprisonment, Detention and Torture in Europe Today, Cambridge, Polity Press, 1996, 141 p.
International Law, Oxford, Oxford University Press, 2001, 469 p. (réédité en 2003 et en 2005)
International Criminal Law, Oxford, Oxford University Press, 2003, 472 p. (réédité en 2008 et en 2013 : avec P. Gaeta, Cassese’s International Criminal Law)
The Human Dimension of International Law: Selected Papers of Antonio Cassese, Oxford, Oxford University Press, 2008, 537 p.
Five Masters of International Law: Conversations with R-J Dupuy, E Jimenez de Arechaga, R. Jennings, L. Henkin and O. Schachter, Oxford, Hart Publishing, 2011, 306 p.
Direction d’ouvrages
Avec E. Jouve (dir.), Pour un droit des peuples : essais sur la déclaration d’Alger, Paris, Berger-Levrault, 1978, 220 p.
United Nations Peace-Keeping : Legal Essays, Alphen aan den Rijn, Sijthoff & Noordhoff, 1978, 255 p.
The New Humanitarian Law of Armed Conflict, Naples, Editoriale scientifica, 1979, 501 p.
UN Law and Fundamental Rights : Two Topics in International Law, Alphen aan den Rijn, Sijthoff & Noordhoff, 1979, 258 p.
Parliamentary control over foreign policy : legal essays, Alphen Aan den Rijn, Sijthoff et Noordhoff, 1980, 209 p.
The Current Legal Regulation of the Use of Force, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1986, 536 p.
Avec J. Weiler (Eds.), Change and Stability in International Law-Making, Berlin, Walter de Gruyter, 1988, 213 p.
Avec J. Weiler et M. Spinedi (Eds.), International Crimes of State : a Critical Analysis of the ILC’s Draft Article 19 on State Responsibility, Berlin, New York, De Gruyter, 1989, 368 p.
Avec A. Clapham, and J. Weiler (Eds.), Human rights and the European Community : the substantive law, Baden-Baden, Nomos, 1991, 479 p.
Avec M. Delmas-Marty, Crimes internationaux et juridictions internationales, Paris, Presses universitaires de France, 2002, 267 p.
Avec M. Delmas-Marty, Juridictions nationales et crimes internationaux, Paris, Presses universitaires de France, 2002, 473 p.
Avec P. Gaeta et J. Jones, The Rome Statute of the International Criminal Court : a Commentary, Oxford, Oxford University Press, 2002, 2018 p.
Avec G. Acquaviva et al., The Oxford Companion to International Criminal Justice, Oxford, Oxford University Press, 2009, 1008 p.
Realizing Utopia : the Future of International Law, Oxford, New York, Oxford University Press, 2009, 1008 p.
Avec D. Sciala, V. Thalmann, Les grands arrêts de droit international pénal, Paris, Dalloz, 2010, 475 p.
Avec G. Acquaviva, et al., International Criminal Law : Cases and Commentaries, Oxford, New York, Oxford University Press, 2011, 592 p.
Cours
« Modern Constitutions and International Law », RCADI, tome 192, 1985, pp. 331-476
Articles
« The Admissibility of Communications to the United Nations on Human Rights Violations », Revue des Droits de l’homme, 1972, vol. 5, p. 378
« Wars of National Liberation and Humanitarian Law », in J.S. Pictet et C. Swinarski, Études et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en l’honneur de Jean Pictet, Genève, Comité international de la Croix-Rouge, 1984, pp. 313-324
« Legal Considerations on the International Status of Jerusalem », Palestine Yearbook of International Law, 1986, vol. 3, pp. 13-39
« La Communauté internationale et le génocide », in Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement : mélanges Michel Virally, Paris, Pedone, 1991, pp. 183-194 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)
« Individuals », in M. Bedjaoui, International Law : Achievements and Prospects, Paris, UNESCO, 1991, pp. 113-120
« La valeur actuelle des droits de l’homme », in Humanité et droit international : mélanges en l’honneur de René-Jean Dupuy, Paris, Pedone, 1991, pp. 65-75 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)
« Self-Determination Revisited », in E. J. de Aréchaga et M. Rama-Montaldo, Le droit international dans un monde en mutation : liber amicorum en hommage au professeur Eduardo Jiménez de Aréchaga, Montevideo, Fundación de cultura universaria, vol. 1, 1995, pp. 229-240
« Crimes Against Humanity: Comments on Some Problematic Aspects », in L’ordre juridique international, un système en quête d’équité et universalité : liber amicorum Georges Abi-Saab, The Hague, Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2001, pp. 429-447.
« L’influence de la CEDH sur l’activité des tribunaux pénaux internationaux », in A. Cassese et M. Delmas-Marty, Crimes internationaux et Juridictions internationales, Paris, Presses universitaires de France, 2002, pp. 143-182
« Peut-on poursuivre des hauts dirigeants des États pour des crimes internationaux? : à propos de l’affaire Congo c/ Belgique (C.I.J.) », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2002, vol. 57, n°3, pp. 479-499.
« Procès équitable et juridictions pénales internationales », Variations autour d’un droit commun, Paris, Société de législation comparée, 2002, pp. 245-265
« Quelques réflexions sur la justice pénale internationale », in E. Fronza, La justice pénale internationale dans les décisions des tribunaux ad hoc : Étude des Law Clinics en droit pénal international, Milan, Ed. Giuffré, 2003, pp. 283-291
« Article 51 », in J.-P. Cot, A. Pellet, M. Forteau, La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, 3e éd., t. I, Paris, Économica, 2005, pp. 1329-1361 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Économica)
« La prise en compte de la jurisprudence de Strasbourg par les juridictions pénales internationales », in G. Cohen-Jonathan, J.-F. Flauss, Le rayonnement international de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 29-82 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Larcier)
« Is Genocidal Policy a Requirement for the Crime of Genocide ? », in P. Gaeta (Ed.), The UN Genocide Convention : a Commentary, Oxford, Toronto, Oxford University Press, 2009, pp. 128-136
« Taking Stock of the Genocide Convention and Looking Ahead », in P. Gaeta (ed.), The UN Genocide Convention : a Commentary, Oxford, Toronto, Oxford University Press, 2009, pp. 531-544
« The Character of the Violated Obligations », in J. Crawford, A. Pellet, S. Olleson (Ed.), The Law of International Responsibility, New York, Oxford University Press, 2010, pp. 415-420
« The Legitimacy of International Criminal Tribunals and the Current Prospects of International Criminal Justice », Leiden Journal of International Law, 2012, vol. 25, n° 2, pp. 491-501
« States : Rise and Decline of the Primary Subjects of the International Community », in The Oxford Handbook of the History of International Law, Oxford, Oxford University Press, 2012, pp. 39-70
Rapports
Report on the Special Court for Sierra Leone Submitted by the Independent Expert, 2006, vol. 12
Hommages
L. C. Vorah et al., Man’s Inhumanity to Man : Essays on International Law in Honour of Antonio Cassese, The Hague, New York, Kluwer Law International, 2003, 1031 p.
Antonio Cassese 1937-2011 : Walking the Road he Paved, Leidschendam, Special Tribunal for Lebanon, 2011
Tribute Issue : Antonio Cassese’s International Criminal Justice, Journal of International Criminal Justice, Volume 10, Issue 5, décembre 2012
H. V. Stuart, The prosecutor and the judge : Benjamin Ferencz and Antonio Cassese : interviews and writings, Amsterdam, Pallas Publications, 2009, 192 p.