CALVO

Photo : Image originale BNF/Société de Géographie de Paris. Avec l’aimable autorisation de la Société de Géographie

CARLOS CALVO

(1822-1906)

 

Carlos Calvo est né à Montevideo le 26 février 1822 ; cependant, il grandit à Buenos Aires où il fait ses études et obtient la nationalité argentine. Diplomate, il commence sa carrière en 1852 à Montevideo comme vice-consul, puis consul général et chargé d’affaires de l’Argentine. Ses talents de négociateur sont très tôt remarqués par le Paraguay qui lui confie sa représentation auprès du Royaume-Uni dans le célèbre différend Canstatt (1859). Le triomphe diplomatique de Calvo mènera à la première de ses publications : Question Canstatt : documents officiels échangés entre la légation de la République du Paraguay et le gouvernement de Sa Majesté britannique, en 1861.

Membre fondateur de l’Institut de droit international de Gand (1874), membre associé de l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de France (1892) et décoré par le gouvernement français de la croix d’Officier de la Légion d’honneur en 1865, puis de celle de Commandeur en 1886 et de Grand Officier en 1888, juriste et diplomate, Carlos Calvo sert comme ambassadeur d’Argentine jusqu’en 1905. Il meurt à Paris le 3 mai 1906. Sa doctrine lui survivra.

Carlos Calvo et le droit international

Pour Carlos Calvo, le droit international est « un des fruits les plus précieux de la civilisation : car il est devenu une des bases de l’organisation des sociétés, et par suite un élément essentiel de la marche harmonique de l’humanité ». Il revendique l’Amérique latine comme société civilisée qui contribue au droit international, face à l’Europe qui la considère encore « entre l’état primitif et la civilisation, entre l’ignorance et le despotisme ». Ainsi, dans l’esprit patriotique de prouver les progrès latino-américains, Carlos Calvo élabore deux compilations historiques : la première, un Recueil complet des traités, conventions, capitulations, armistices [et] autres actes diplomatiques de tous les états de l’Amérique latine depuis la conquête (1862) ; la deuxième, des Annales historiques de la révolution de l’Amérique latine de 1808 jusqu’à la reconnaissance de son indépendance (1867). Pour Albert de La Prédelle (cité par Antonio Gomez de Robredo), Carlos Calvo observe les faits et possède le sens de la méthode historique et documentaire ; les documents sont en effet à la base de la précision avec laquelle Carlos Calvo aborde le droit international.

Bien que les œuvres de Carlos Calvo soient nombreuses, son Droit international théorique et pratique (publié pour la première fois en 1868) reste sa publication la plus célèbre. Cité par des internationalistes du monde entier, ce travail contient les principes de sa doctrine : le droit absolu à la liberté contre les interventions des grandes puissances revendiquant leur droit international à protéger leurs ressortissants, et l’égalité entre nationaux et étrangers.

Le principe de non intervention

La doctrine de Carlos Calvo est fondée sur les principes de souveraineté nationale, d’égalité entre les États et de l’exercice de la juridiction territoriale étatique. Les États – libres, souverains et égaux – possèdent le droit de refuser toute ingérence étrangère. Ce premier principe de la doctrine Calvo condamne autant le recours à la force armée que l’utilisation de la protection diplomatique par un pays en faveur de ses ressortissants. Un État possède donc la faculté exclusive de juger les affaires concernant toutes les personnes résidant sur son territoire sans que puisse intervenir une puissance étrangère.

Ce principe s’est traduit par une clause appelée « clause Calvo » qui comporte la renonciation des étrangers à la protection diplomatique de leur pays d’origine, se soumettant donc aux tribunaux et aux lois nationales. Bien que la « clause Calvo » soit souvent référencée comme une clause contractuelle, elle fut incorporée, en Amérique latine, dans de nombreuses Constitutions nationales, ce qui garantit son applicabilité générale et préférentielle sur tous les autres instruments juridiques.

Néanmoins, la doctrine de Carlos Calvo ne préconise pas une abolition absolue de la protection diplomatique, mais en limite la portée : l’État peut défendre ses ressortissants lorsqu’ils sont l’objet de poursuites arbitraires ou de préjudices, y compris si les mauvais traitements ou les dommages ne sont pas directement le fait du pays d’accueil mais que ce dernier n’a rien tenté pour s’y opposer. Dans ces cas, l’intervention est justifiée : l’État auquel appartient la victime a le droit de demander réparation de l’injustice, une indemnité et, selon les circonstances, des garanties contre le renouvellement d’actes semblables.

Le principe d’égalité nationaux/étrangers

Le second principe de la doctrine Calvo établit que les étrangers ne méritent pas plus de considération, d’égards et de privilèges que ceux accordés aux habitants du pays où ils résident. Qu’un État favorise les étrangers plus que ses nationaux est « intrinsèquement contraire à la loi d’égalité des nations et très funeste par ses conséquences pratiques » ; c’est « avant tout souverainement injuste » [Le droit international théorique et pratique, T. I, 1880, p. 431]. Les États ne sont donc pas responsables des pertes ou des préjudices subis par des étrangers en temps de troubles intérieurs ou de guerres civiles. Un État ne peut pas réclamer pour ses sujets établis dans un autre pays des avantages et des droits dont les nationaux eux-mêmes ne jouissent pas.

Carlos Calvo condamne les abus commis par les nations puissantes qui imposent aux petits États des obligations différentes de celles qu’elles-mêmes leur accordent. Ainsi, un État ne doit pas revendiquer chez les autres une situation privilégiée qu’il n’est pas disposé à concéder à ses propres étrangers. Ce principe de la doctrine Calvo comporte donc deux acceptions : d’une part, il s’agit d’un principe d’égalité entre nationaux et étrangers et, d’autre part, d’un principe de réciprocité interétatique.

L’actualité de la doctrine Calvo

La doctrine de Carlos Calvo, qui semblait avoir été enterrée avec la prolifération des accords de promotion et de protection des investissements qui permettent aux investisseurs de se soustraire à la juridiction des tribunaux nationaux, est aujourd’hui ranimée. Dans sa nouvelle version, elle implique que les étrangers renoncent non seulement à la protection diplomatique, mais à l’arbitrage international, s’érigeant en doctrine opposée au régime actuel de l’arbitrage d’investissement.

 

Amilli GUZMÁN
 
Docteur en droit public
Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité

 

 

Sources : C. Calvo, Le droit international théorique et pratique : précédé d’un exposé historique des progrès de la science du droit des gens, 5e édition, 6 vol., Paris, Guillaumin, 1887-88 ; Jose Yves Limantour, Notice sur la vie et les travaux de M. Carlos Calvo, Paris, Firmin-Didot, 1909. Liliana Obregón, « Carlos Calvo y la profesionalización del derecho internacional », Revista Latinoamericana de Derecho Internacional, 2015, nº3, 23 p. Manuel de Peralta, « Nécrologie de Carlos Calvo », Annuaire de l’Institut de droit international, 1906, vol. 21, p. 486-491. Oscar M. Garibaldi, « Carlos Calvo redivivus : the rediscovery of the Calvo doctrine in the era of investment treaties », Transnational Dispute Management, 2006, vol. 3, nº5, 58 p. César Sepúlveda, Antonio Martínez et Alfonso García, Carlos Calvo : tres ensayos mexicanos, México : SRE, 1974, 79 p.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

Question Canstatt: documents officiels échangés entre la légation de la république du Paraguay et le gouvernement de Sa Majesté Britannique, Besançon, 1861

Recueil complet des traités, conventions, capitulations, armistices, autres actes diplomatiques de tous les états de l’Amérique latine : depuis l’année 1493 jusqu’à nos jours, 11 vol., Paris, A. Durand, 1862-68

Annales historiques de la révolution de l’Amérique latine : accompagnées de documents à l’appui, de l’année 1808 jusqu’à la reconnaissance par les états européens de l’indépendance de ce vaste continent, 4 vol., Paris, A. Durand ; Madrid, Bailly-Baillière, 1867

Examen des trois règles de droit international proposées dans le traité de Washington, Gand, Van Doosselaere, 1874.

Étude sur l’émigration et la colonisation, Paris, Durand et Pedone-Lauriel, 1875.

Manuel de droit international public et privé conforme au programme des Facultés de droit, Paris, A. Rousseau, 1881

Dictionnaire de droit international public et privé, 2 vol., Berlin, Puttkammer et Mühlbrecht, 1885

Le droit international théorique et pratique : précédé d’un exposé historique des progrès de la science du droit des gens, 5e édition, 6 vol., Paris, Guillaumin, 1887-88

 

Articles

« De la non responsabilité des États à raison des pertes et dommages éprouvés par des étrangers en temps de troubles intérieures ou de guerres civiles », Revue de droit international et de législation comparée, 1869, p. 417-427

 

Comptes rendus de lectures

Le nouveau livre du général Mitre sur les langues américaines, Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques : compte rendu, 1896, p. 670-672.

 

Traductions

Wheaton, Henry, Historia de los progresos del derecho de gentes en Europa y en América, desde la paz de Westfalia hasta nuestros días : con una introducción sobre los progresos del derecho de gentes en Europa antes de la paz de Westfalia (traduit et augmenté par Carlos Calvo), 2 vol. Besanzon, impr. de J. Jacquin, 1861.

Du Graty, Alfredo M. La República del Paraguay (traduit par Carlos Calvo), Besanzon, impr. de J. Jacquin, 1862.