BOURGEOIS

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LÉON BOURGEOIS

(1851-1925)

 

Rien ne prédisposait Léon Bourgeois à devenir le grand juriste, diplomate, homme politique et promoteur de la paix par le droit et la justice qu’il a été.

Né à Paris le 29 mai 1851 dans une famille de la petite bourgeoisie et de sympathie républicaine, à 19 ans, il fait une pause dans ses études de droit pour s’engager le 15 septembre 1870. Il est affecté à la défense des forts de l’Est de Paris. Il ne participe pas directement aux combats, mais, en raison de son grade subalterne, s’occupe de la distribution des vivres et des équipements ainsi que du campement et du couchage des troupes. Cette expérience de la guerre demeurera le terreau fertile sur lequel toute son action postérieure, toutes ses contributions, prendront racine.

Homme politique majeur de la IIIe République

De retour de la guerre, il obtient sa licence en droit en 1872, à l’âge de 21 ans, et soutient plus tard (1876) un doctorat dont l’intitulé fait un peu rêver : « Les Chemins de fer économiques à voie étroite et sur accotements ». Il devient avocat à la Cour d’appel de Paris. Très rapidement, cependant, il occupe des fonctions administratives dans divers ministères (à partir de 1877) et tant que préfet, puis il est élu député de la Marne dès 1888. A partir de ce moment là, l’homme politique prend le dessus. Il occupera, parmi d’autres, de nombreux postes de ministre. Il lui sera même proposé la fonction de Président de la République que sa santé fragile ne lui permettra pas d’accepter.

Il est radical (il joue un rôle moteur dans la constitution du parti radical) et franc-maçon (il est initié à l’âge de 31 ans dans une loge chalonnaise). On peut probablement trouver là, au moins en partie, l’origine de son attachement à la solidarité. Tout au long de sa vie, il va rechercher un équilibre entre les positions contradictoires des économistes et des socialistes, entre la liberté et le droit de propriété absolus chéris par les premiers (méthode scientifique), et l’intervention de l’Etat pour garantir le droit à l’existence et la correction des inégalités prônées par les seconds (vérité morale). Toutefois, écrit-il, « la société ne peut rester indifférente au jeu fatal des phénomènes économiques. Certes, elle ne peut refaire le monde ; elle ne prétend point modifier, dans leur enchaînement, les causes et les effets, aussi nécessaires dans cet ordre que dans tout autre » (Solidarité, Armand Colin, 1896, p. 42).  Naît alors l’idée sur laquelle toutes ses actions futures seront fondées : la solidarité. Il est influencé par l’idée de George Sand qui aurait volontiers remplacé le troisième terme de la devise de la République française « fraternité » par « solidarité ». L’obéissance au devoir social de solidarité n’est que l’acceptation d’une charge en échange d’un profit qui provient des générations antérieures. Il s’agit d’une dette que chaque être humain contracte en venant au monde. Il va transposer cette idée à la société internationale et la mettre en avant lors des deux conférences de La Haye de 1899 et 1907 auxquelles il participe en sa qualité de Représentant de la France et chef de délégation. C’est cette même idée qui innerve l’opuscule qu’il consacre en 1910 à la future « Société des Nations » intitulé Pour la société des Nations.

Le père du solidarisme international et de la diplomatie du droit

Ces Conférences de la Haye sont l’occasion pour lui de mettre au service de la société internationale ce que l’on appellerait aujourd’hui « la justice sociale » en prônant une coopération entre les nations. Il soutient l’usage de l’arbitrage comme mode de règlement des différends et devient Président de la troisième Commission (Conférence de 1899) qui travaille sur l’arbitrage. Il obtient un accord sur l’adoption de la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux et la création de la Cour permanente d’arbitrage pour laquelle le Palais de la paix à La Haye sera ultérieurement construit. L’Allemagne s’oppose cependant à rendre l’arbitrage obligatoire, ce qui avait été initialement envisagé. En 1907, Bourgeois préside à nouveau la Commission sur l’arbitrage. Alors que le principe d’un arbitrage obligatoire semble acquis, la conférence se heurte à l’impossibilité de se mettre d’accord sur la liste des différends qui seraient soumis à cet arbitrage obligatoire.

Malgré cet échec partiel, ces deux Conférences portent les prémisses de l’inlassable travail qu’il développera ensuite au profit de la création d’une Société des Nations. Pour cela il va créer l’Association française pour la Société des Nations qu’il présidera. Il deviendra d’ailleurs le président du premier Conseil de la SdN qui se réunit à Paris, au Quai d’Orsay, le 16 janvier 1920 avant que l’organisation ne s’établisse de manière permanente à Genève. C’est ce qui lui vaudra le surnom de « Père de la SdN » même si la SdN créée en 1919 est relativement éloignée de l’idée que s’en faisait Bourgeois.

En effet le projet « français » est plus complet que la version en partie édulcorée voulue par la délégation américaine, influencée par Wilson, et par la délégation anglaise. Il comporte un bras armé, absent de la création par le Pacte du 28 juin 1919, sans lequel, dit Bourgeois, l’organisation n’a guère de chance de faire prévaloir ses buts. L’absence de ce bras armé sera, pour lui, la grande faille de la SdN.

Prix Nobel de la paix, ardent défenseur de la SdN

Toutefois, en homme politique éclairé, une fois l’échec de la proposition française consommée, il demeurera jusqu’à la fin de sa vie un ardent défenseur de la SdN. Pour preuve, la Communication écrite qu’il adresse au Comité Nobel en décembre 1922, la maladie l’ayant empêché de faire le voyage pour recevoir son prix en 1920. Intitulée « Les raisons de vivre de la Société des Nations », elle est un vivant plaidoyer pour le droit international que chaque Nation accepte en devenant partie à cette Société. Si les violations de ce droit, en 1914 et pendant les années de guerre, ont été malheureusement trop évidentes, dit-il, « la Victoire en a fait justice ; si elles devaient se reproduire un jour, il faudrait vraiment désespérer de l’avenir de l’Humanité ».

Mort le 29 septembre 1925, il ne verra pas les horreurs de la Seconde guerre mondiale ni la perpétuation jusqu’à aujourd’hui de ce qu’il appelait « les passions humaines » qu’il espérait pouvoir combattre par la raison. Cette même raison qui avait permis la création de la Cour permanente de Justice internationale qui, pour lui, était le signe positif d’un accord en faveur du respect du droit international par les membres de cette Société. Il affirme que le consentement mutuel de ses membres, loin de représenter un abandon de souveraineté, révèle une organisation de leur liberté au profit de la collectivité des Nations pour une harmonie à laquelle chacun accepte de contribuer en faisant « apparaître en lumière […] le phénomène universel de la solidarité des Nations et des hommes […], par la mise en commun de toutes les forces de l’intelligence ».

 

Catherine KESSEDJIAN  

Professeure émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

 

Sources : A. Niess, « Léon Bourgeois (1851-1925), Juriste et ange de la paix », Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2009/1, n° 11, pp. 135-148. Les écrits et papiers personnels de Léon Bourgeois constituent un fonds particulier dans la série des Papiers d’agents aux Archives du Ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, à Paris. La littérature sur Léon Bourgeois est très abondante. On en trouve une liste partielle dans l’ouvrage dirigé par Maurice Vaïsse, Léon Bourgeois et la Paix, Direction des Archives, Ministère des Affaires étrangères et européennes et le CTHS, Paris 2022.

     

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

     

Ouvrages

Solidarité, Paris, Armand Colin, 1896, 1ère édition (plusieurs éditions successives seront ensuite publiées)

Essai d’une philosophie de la solidarité. Conférences et discussions présidées par MM. Léon Bourgeois, Alfred Croiset, Paris, F. Alcan, 1902

Pour la société des Nations, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle Editeur, 1910

La politique de la prévoyance sociale, Paris, E. Fasquelle, 1913-1919, 2 volumes : La doctrine et la méthode et L’action

Le traité de paix de Versailles, 2e éd., Paris, F. Alcan, 1919

L’Œuvre de la Société des Nations (1920-1923), Paris, Payot, 1923, 456 p.

    

Communications

« L’État actuel de la Société des nations », Communication faite à l’Académie des sciences morales et politiques, le 3 juin 1922, Paris, Revue de la semaine, 1922, 40 p

« L’Organisation internationale de la prévoyance sociale », conférence à l’Exposition universelle de Gand, 6 septembre 1913, Paris, Association internationale pour la lutte contre le chômage, 27 p.

« Les Raisons de vivre de la Société des Nations », Communication de M. Léon Bourgeois, au comité Nobel du Parlement norvégien, Châlons-sur-Marne, Impr.-libr. de l’Union républicaine de la Marne, 1923, 15 p.