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JULES BASDEVANT
(1877-1968)
La vie de Jules Basdevant est de celles visées par le préambule de la Charte des Nations Unies, organisation à la constitution de laquelle il a œuvré. Elle est de ce temps peu lointain où le « fléau de la guerre [a] deux fois en l’espace d’une vie humaine […] infligé à l’humanité d’indicibles souffrances » ; elle est de celles dédiées à en préserver les générations futures. La réflexion et la pratique du droit et des relations internationales du Président Basdevant sont guidées par ces deux nécessités qu’il distingue strictement : l’encadrement du temps présent et l’évolution des dispositions pour l’avenir. Les implications de cette dichotomie sont remarquables, d’une part dans sa carrière d’universitaire exigeant et de diplomate respecté, et d’autre part dans son orientation doctrinale assurément positiviste.
L’intégrité du professeur jurisconsulte
Naturellement marqué par la guerre, comme d’autres acteurs majeurs des relations interétatiques de la première moitié du XXe siècle, affecté personnellement par les disparitions de parents proches engagés, le Professeur Jules Basdevant l’a aussi été par l’abandon par l’État français sous Vichy des protections de « l’empire du Droit ». Cet affaissement semble avoir été pour Jules Basdevant une inacceptable renonciation par son État à deux piliers fondamentaux des valeurs propres au professeur : l’honneur et le droit. Il a ainsi quitté ses fonctions de jurisconsulte des services juridiques du ministère français des affaires étrangères dès mai 1941, après onze années dans ces fonctions. Sa lettre de démission, désormais célèbre acte public de résistance, lui a valu une retraite contrainte et l’interdiction de professer à Paris où il était titulaire de la chaire de droit international depuis juillet 1922. La fin du régime du maréchal Pétain, lui a permis de reprendre son rôle de premier plan universitaire, retrouvant notamment sa chaire, et diplomatique, notamment comme seul juriste français nommé à la Commission pour l’étude d’une Organisation des Nations Unies en 1944 après avoir participé en 1918 à la Commission de préparation de la Société des Nations. Le dessin d’un homme pour qui l’honneur, la méthode juridique et le respect du droit positif ne peuvent subir de concession s’est affiné activement jusqu’à sa disparition en janvier 1968, à l’âge de 90 ans.
Le droit du temps présent
Une si longue et auguste carrière oblige à une remarque sur l’expression de temps présent au cœur du travail de l’auteur positiviste. Il ne s’agit pas de laisser penser que le droit positif est un droit figé et non évolutif. Il s’agit au contraire de souligner la particulière acuité qu’offre un tel auteur, dans un contexte de bouleversement des faits sources matérielles, permettant un changement substantiel de paradigme juridique relatif au recours à la force armée. La notoriété du second cours général donné par le Professeur Basdevant à l’Académie de droit international en 1936 relatif aux « Règles générales du droit de la Paix » fait parfois de l’ombre au premier. Tenu en 1926, il portait sur « La conclusion et la rédaction des traités et des actes diplomatiques autres que les traités ». Dans une matière non encore codifiée et dès lors constituée « des traits communs se [dégageant] d’une série de cas particuliers » (cours de 1926, p. 540), il développe une méthode rigoureuse d’analyse s’intéressant au droit tel qu’il est au moment de l’analyse, sans préjudice ni jugement de ce qu’il a été ou sera, ni des finalités de la norme. Il n’intègre cette dernière dimension politique que si la norme est « revêtue de la force d’application » (cours de 1936, p.479), s’inscrivant ainsi dans le droit positif.
« Cela n’interdit pas d’en apprécier la valeur, pourvu que l’on sache bien distinguer ce qu’est le droit existant et les améliorations qu’on peut désirer y voir introduire, le jus conditura et le jus condendum, une règle conventionnelle ou coutumière et une résolution de l’Institut de Droit international » (cours de 1936, p. 483), précise le Professeur qui a été vice-président de l’Institut, ainsi que membre de l’Académie des sciences morales et politiques et président de la Société de législation comparée de 1949 à 1951.
En outre, ses fonctions et expériences ont renforcé sa conviction de ne pas opposer le droit international, qu’il reconnait très particulier, à l’incertitude de son application ou de son invocation. Son cours de 1936 s’ouvre ainsi sur la relativité du droit comme sur sa réalité et la recherche de son efficacité ; le droit n’est pas absolu. Ses analyses des différends interétatiques, déjà en 1906 lors par exemple du différend franco-vénézuélien, démontrent une maîtrise du fait documenté et du droit positif pour expliquer la pratique interétatique et le phénomène juridique en pleine complémentarité. Fin maître du fait diplomatique, « laissant de côté les querelles de mots et examinant les données positives de l’ordre juridique international » (cours de 1936, p. 579), il développe ainsi une approche positiviste réaliste, pragmatique, qui marque encore durablement les internationalistes qui s’inscrivent dans un héritage certain – notamment le Professeur Suzanne Bastid, sa fille, et le Professeur Geneviève Bastid Burdeau, sa petite-fille –, mais également les institutions du droit international.
L’avenir de l’État de droit
Cette conception de normes du droit de la paix ayant pour « fonction sociale d’assurer l’ordre par la justice au sein de la société internationale, [soumises à] leur force d’application et dans la mesure de celle-ci » (cours de 1936, p. 689) est au cœur de la modification amorcée de l’ordre juridique international par la Société des Nations et poursuivie par l’Organisation des Nations Unies. Il en est de même pour les mécanismes de règlement des différends, dont Jules Basdevant prévoyait très justement une multiplication, avec cette double fonction de « réalisation du droit » et de maintien de la paix. Ainsi, si l’analyse du droit de Jules Basdevant s’attache au temps présent, son action diplomatique s’attache à la normalisation aussi pérenne que possible de la société internationale, malgré l’imprévisibilité des faits étatiques. On ne sait si le jeune professeur aux universités de Rennes et de Grenoble de 1907 à 1914, agrégé en 1906, ayant soutenu en 1900 et 1901 deux thèses sur « Les rapports de l’Église et de l’État dans la législation du mariage, du Concile de Trente au Code civil » et sur « La Révolution française et le droit de la guerre continentale » (dir. : L. Renaut), se projetait dans ce rôle considérable qu’il a eu de défense de l’État par le droit et de défense de l’État de droit. En plus d’avoir participé à la création de la Société des Nations et de l’Organisation des Nations Unies, le Professeur Jules Basdevant a également agi comme juge et président de la Cour internationale de Justice. Il en a été le premier vice-président (1946-1949), le second président (1949-1952), et un juge réélu jusque 1964, insufflant à la Cour certaines de ses caractéristiques actuelles comme des principes de réalité, d’utilité et d’efficacité des normes et du droit.
François Xavier SALUDEN Doctorant, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé de cours, Universités de Laval, de Montréal, du Québec à Montréal
Sources : G. Berlia, « Le Président Jules Basdevant », Politique étrangère, 1968, vol. 33, pp. 5-7 ; Ch. Chaumont, « Hommage. Jules Basdevant », AFDI, volume 13, 1967, pp. 1-3 ; Nécrologie in Bulletin de la société de législation comparée, Octobre-Décembre 1969, pp. 821-824
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Ouvrages
Recueil international des traités du XIXe siècle, contenant l’ensemble du droit conventionnel entre les États et les sentences arbitrales, tome I (1801-1825), Paris, A. Rousseau, 1914, 1025 p. (avec E. Descamps et L. Renaut)
Recueil des traités et conventions en vigueur entre la France et les puissances étrangères, 4 vol.
La guerre de 1914. Jurisprudence italienne en matière de prises maritimes (avec P. Fauchille), 1 vol.
La guerre de 1914. Jurisprudence britannique en matière de prises maritimes (avec P. Fauchille), 2 vol.
Cours de droit international public, Les Cours de Droit, Paris, 1946, 299 p.
J. Basdevant (dir.), Dictionnaire de la terminologie du droit international, Sirey, Paris, 1960, 756 p.
Cours à l’Académie de droit international
« Règles générales du droit de la Paix », RCADI, vol. 58, 1936, pp. 471-715
Articles
« Hugo Grotius », in Les Fondateurs du droit international, Paris, V. Giard & E. Brière, 1904, pp. 125-267 (rééd. Éditions Panthéon-Assas, Paris, 2014)
« Le conflit franco-vénézuélien », RGDIP, 1906, pp. 509-559
« Deux conventions peu connues sur le droit de la guerre », RGDIP, 1915, pp. 5-29
« Le traité franco-espagnol du 27 novembre 1912 concernant le Maroc », RGDIP, 1915, pp. 433-464
« La réquisition des navires allemands au Portugal », RGDIP, 1916, pp. 268-279
« Discours commémoratif prononcé le 18 mai 1949. Cinquantième anniversaire de la première conférence de la Paix : La Haye 18 mai 1899 », RGDIP, 1949, pp. 275-283
Hommage
Hommage d’une génération de juristes au président Basdevant, Paris, Pedone, 1960, XIX, 561 p.