Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général
GAETANO ARANGIO-RUIZ
(1919-2022)
Maître de plusieurs générations de chercheurs, le professeur Arangio-Ruiz a offert, pendant près de soixante-dix ans de carrière, des contributions fondamentales sur des questions générales de droit international, toutes devenues des points de référence pour quiconque s’est mesuré aux thèmes qu’il a traités, tant en Italie qu’à l’étranger.
Une contribution multiforme au droit international
Descendant d’une famille aux illustres traditions juridiques, Gaetano Arangio-Ruiz, né à Milan en 1919, est docteur en droit à l’Université de Naples en 1941. Il a ensuite été professeur de droit international dans différentes universités italiennes avant de conclure sa carrière académique à l’Université de Rome « La Sapienza » (1974), dont il sera nommé professeur émérite (1997).
Arangio-Ruiz a initialement consacré ses activités de recherche au droit international privé et procédural, leur apportant, à partir de sa thèse dirigée par Morelli, des contributions fondamentales. De surcroît, Arangio-Ruiz a approfondi des thèmes cardinaux du droit international et de la théorie générale du droit, y compris la nature des États en tant que fondateurs et membres des organisations internationales. Couvrant tous les aspects de la personnalité internationale, il a offert une reconstruction cohérente de l’ensemble du droit international. Avec Gli enti soggetti dell’ordinamento internazionale, 1951, Arangio-Ruiz a apporté une contribution fondamentale à la théorie générale du droit, en clarifiant notamment la différence entre le droit international et le droit interne et, plus spécifiquement, entre l’État du droit interne et l’État du droit international. C’est précisément cette dichotomie qui est devenue par la suite la contribution peut-être la plus importante d’Arangio-Ruiz à la compréhension des relations internationales, allant jusqu’à fournir un corollaire à l’approche dualiste/pluraliste déjà développée par Triepel, Oppenheim et Anzilotti. Sa théorie de l’organisation internationale, inspirée par un dualisme radical entre la sphère des rapports internationaux et la sphère des relations juridiques internes, a trouvé son aboutissement avec le cours général délivré à l’Académie de La Haye en 1990. Bien que discutée en doctrine, elle a influencé de manière significative l’évolution de la pensée juridique. Elle a aussi certainement inspiré l’auteur dans l’élaboration d’autres reconstructions juridiques, comme celle portant sur formation des normes internationales.
Dans la lignée de son maître Morelli, Arangio-Ruiz a consacré des études à la notion et à la théorie générale des différends internationaux, aux procédures de règlement spécifiques ainsi qu’à certains aspects problématiques de la juridiction de la Cour internationale de justice. Son étude la plus approfondie en ce domaine porte sur la question de la non-comparution dans les procédures devant la CIJ, étude qu’il a achevée en 1990 en tant que rapporteur de l’Institut de droit international.
Il a également apporté une contribution fondamentale au droit de la responsabilité internationale de l’État, en tant que Rapporteur de la Commission du droit international sur ce projet d’articles (1988-1996). Notamment, il a expliqué la distinction entre les conséquences matérielles et instrumentales d’un comportement illicite. Il a souligné le caractère instrumental de la contre-mesure et de la réparation afin d’obtenir la cessation de l’illicite. Finalement, la contribution la plus récente apportée à ce domaine est celle relative à la réfutation de la nature juridique de l’attribution d’un comportement à l’État.
L’implication dans la pratique du droit international
Membre de nombreuses sociétés savantes, notamment de l’Institut de droit international et de la Società Italiana per l’Organizzazione Internazionale (SIOI), et par ailleurs membre du Conseil des directeurs de la Rivista di diritto internazionale, son dévouement au droit international ne s’est pas limité à l’activité académique. Le professeur Arangio-Ruiz a occupé des fonctions de conseiller juridique, entre autres, pour les délégations italiennes au Comité du désarmement et à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), pour l’Agence italienne pour l’énergie (ENEA), ainsi que pour le ministère italien des Affaires étrangères. En cette qualité, en 1983, Arangio-Ruiz a défendu son pays devant la CIJ dans l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), dans laquelle l’Italie avait déposé une requête à fin d’intervention.
Arangio-Ruiz a participé, en tant que représentant de l’Italie, à la rédaction de la Déclaration de l’Assemblée générale de l’ONU sur les principes régissant les relations amicales et la coopération entre les États (1965-1970). Il a également pris part à la rédaction de l’Acte final d’Helsinki (1975), une expérience qui a débouché sur son cours de 1977 à l’Académie de La Haye, centré sur la question des droits de l’homme et de la non-intervention. Enfin, en tant que juge, Arangio-Ruiz a participé à la définition et à la consolidation de la jurisprudence du Tribunal irano-américain de réclamations (de 1989 à 2012). Il a également siégé en tant qu’arbitre au sein du tribunal ayant jugé l’Affaire de la délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la France (de 1989 à 1992).
Maestro du droit international
Son approche méthodologique, qui allie rigueur et clarté d’analyse, est caractéristique de l’approche de « l’école romaine » initiée par Anzilotti puis perpétuée par Morelli et ses disciples intellectuels, dont font aussi partie Capotorti et Gaja. Arangio-Ruiz s’inscrit dans les pas de son maître en ce qu’il a fourni une étude d’ensemble du système juridique international, dont il a mis en lumière tous les mécanismes et apporté tous les outils pérennes de compréhension. Son grand effort de systématisation ainsi que de théorisation générale des idées fondamentales de la matière ont influencé la pensée de nombreux internationalistes postérieurs.
L’esprit critique indomptable, l’originalité et la cohérence globale – en termes de méthode et d’analyse – de son extraordinaire travail, l’infatigable assiduité et l’inépuisable curiosité intellectuelle ne sont que quelques-uns des traits de sa riche et forte personnalité d’érudit. Ceux qui l’ont côtoyé de près ont ressenti sa passion pour l’enseignement, qui n’a jamais perdu de son intensité ni de sa curiosité. Ses disciples se souviennent de son humilité devant les pensées d’autres, mais en même temps d’un attachement à ses propres théories et visions du droit international. Sa longue vie a été tout imprégnée de sa passion pour le droit international.
Riccardo DI MARCO
Docteur en droit public de l’Université Paris Nanterre et de l’Università di Roma Tor Vergata
Sources : E. Cannizzaro, « La doctrine italienne et le développement du droit international dans l’après-guerre : entre continuité et discontinuité », AFDI, vol. 50, 2004, pp. 1-23 ; A. Gianelli, « Il contributo della dottrina italiana al tema della responsabilità internazionale degli Stati per fatto illecito : qualche osservazione », Rivista di Diritto Internazionale, vol. 99(4), 2016, pp. 1042-1070 ; F. Messineo, « Is there an Italian Conception of International Law? », Cambridge Journal of International and Comparative Law, vol. 2(4), 2013, pp. 879-905 ; L. Picchio Forlati et G. Palmisano, « La lezione di una vita: cos’è e com’è il diritto internazionale », Studi di diritto internazionale in onore di Gaetano Arangio-Ruiz, Editoriale Scientifica, Naples, 2004 ; Società italiana di diritto internazionale e di diritto dell’Unione Europea, « In ricordo del Prof. Gaetano Arangio-Ruiz », 3 octobre 2022 ; et notice biographique, in RCADI, t. 225, 1990, p. 17.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
(Une grande partie des publications de G. Arangio-Ruiz est disponible sur son site internet)
Ouvrages
La cambiale nel diritto internazionale privato, Giuffrè, 1946, 317 p.
Gli enti soggetti dell’ordinamento internazionale, Giuffrè, 1951, 418 p.
Sulla dinamica della base sociale nel diritto internazionale, Giuffrè, 1954, 180 p.
La persona internazionale dello Stato, UTET, 2014, 97 p.
Rapporti contrattuali fra Stati e Organizzazione Internazionale, Il Sirente, 2019, 160 p.
Cours à l’Académie de droit international
« Human Rights and Non-intervention in the Helsinki Final Act », RCADI, 1977, t. 157, pp. 195-331
Articles
« Consuetudine Internazionale », Enciclopedia Giuridica, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1988
« On the Security Council’s “Law-Making” », in Rivista di diritto internazionale, 2000, pp. 609-725
Rapports à la Commission du droit international
« Rapport préliminaire sur la responsabilité des États », in Ann. CDI, vol. II, 1988, pp. 6-43
« Deuxième rapport sur la responsabilité des États », in Ann. CDI, vol. II, 1989, pp. 1-58
« Troisième rapport sur la responsabilité des États », in Ann. CDI, vol. II, 1991, pp. 1-35
« Quatrième rapport sur la responsabilité des États », in Ann. CDI, vol. II, 1992, pp. 1-49
« Cinquième rapport sur la responsabilité des États », in Ann. CDI, vol. II, 1993, 1-58
« Sixième rapport sur la responsabilité des États », in Ann. CDI, vol. II, 1994, pp. 3-20
« Septième rapport sur la responsabilité des États », in Ann. CDI, vol. II, 1995, pp. 43-83
« Huitième rapport sur la responsabilité des États », in Ann. CDI, vol. II, 1996, pp. 58-73
Rapports à l’Institut de droit international
Hommage
Studi di diritto internazionale in onore di Gaetano Arangio-Ruiz, Editoriale Scientifica, Naples, III volumes, 2004, 2340 p.