Madame Fatou BENSOUDA, Procureure de la Cour pénale internationale, invitée d’honneur du Colloque de Lille de la SFDI consacré à La souveraineté pénale de l’État au XXIème siècle a prononcé le discours de clôture que nous reproduisons ci-dessous avec son aimable autorisation. C’est l’occasion pour moi de la remercier de tout cœur de sa présence et de ses paroles encourageantes et pleines d’espoir.
Alain PELLET
Président de la SFDI
Madames et Messieurs les Honorables Membres et Représentants de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille – droit et santé,
Distingués Professeurs, Chers Collègues,
Mesdames et Messieurs les invités, en vos titres, fonctions et grades respectifs,
Ce colloque annuel de la Société Française pour le Droit International est un autre temps fort de l’évolution de la pensée scientifique et du progrès du droit international fidèle à la pensée de l’Eminent Professeur, de dimension internationale Michel Virally.
Ce colloque est en particulier un moment d’intenses réflexions où les éminents membres de la doctrine et praticiens se réunissent pour échanger sur les grandes questions de notre monde, avec une perspective qui s’inspire à la fois de l’histoire et des questions sociales.
Je considère cette activité comme un moment d’inspiration tourné vers l’avenir et pour un monde meilleur; un moment d’inspiration pour nous les professionnels du droit.
C’est pourquoi, je me réjouis déjà à l’idée de lire vos travaux, qui vont certainement être des sources d’inspiration pour la rédaction de nos écritures devant les chambres de la Cour pénale internationale.
Etre présente à ces moments d’intenses réflexions scientifiques, est un honneur et un plaisir. C’est pourquoi, je voudrais sincèrement remercier mon ami, l’Eminent Professeur Alain Pellet, d’avoir fait l’honneur de m’associer à ces travaux.
Je voudrais, Cher Alain, féliciter votre leadership et remercier toutes les éminentes personnalités du Bureau de la Société pour leur vision et leur contribution à l’évolution du droit. Je pense ainsi à M. Gilbert Guillaume, Mme Geneviève Bastid Burdeau, M. Jean-Pierre Cot et M. Jean-Pierre Quéneudec, et à tous les autres membres du Conseil que je félicite pour le succès de ce colloque. Je n’oublie pas Mme Muriel Ubeda-Saillard et toute l’équipe qui a tout mis en œuvre pour la réussite du colloque.
Je voudrais vous dire tout le plaisir que j’ai de prendre part à la cérémonie de clôture de ce colloque.
J’aurais aimé assister à cet évènement depuis le début des travaux, mais les activités de mon bureau ne m’ont malheureusement pas libérée plus tôt.
J’ai cependant tenu à être présente pour vous exprimer tout mon soutien, et pour vous rendre un hommage. Un hommage solennel pour la contribution scientifique significative de votre prestigieuse institution – la Société Française pour le Droit International.
Vous me permettrez alors de saluer l’engagement de haute qualité de votre structure et ses travaux rigoureux pour la progression de l’Humanité par le Droit.
Le thème de ce colloque : « la Souveraineté pénale de l’Etat au 21ième siècle » est une question essentielle qui transcende la vie de l’Etat contemporain tel que nous le concevons.
Cette notion de souveraineté est certes très ancienne, mais elle trouve toujours sa vigueur dans la vie de l’Etat moderne et dans la dynamique des relations internationales contemporaines.
Ceci d’autant plus que cette même notion soulève des questions majeures à la lumière du développement du droit pénal international qui postule de nouveaux paradigmes dans la sécurisation de nos sociétés par un droit supra national.
Les mutations internationales marquées par des phénomènes de regroupements régionaux, la dynamique irréductible de la coopération judiciaire et l’émergence de nouvelles formes de solidarité internationales introduisent une complexité supplémentaire dans l’analyse. C’est cela aussi qui justifie le besoin de réactualiser le débat sur la souveraineté et de l’inscrire dans l’ère du temps.
Durant les nombreuses heures que vous avez dédiées à l’examen du thème de ce colloque, vous avez abordé les différentes problématiques que je viens d’évoquer, de façon inclusive, transversale, et pragmatique.
Vous avez évoqué les différentes formes de compétences juridictionnelles, tout en retraçant en parallèle la manière dont la souveraineté pénale pouvait se concevoir.
Vous avez examiné le droit de punir avec une perspective et une méthode d’analyse alliant le national, le régional et l’international, tout en cherchant à définir les contours des interactions des différents facteurs en jeu et l’impact de celles-ci sur la souveraineté étatique.
C’est sur ce dernier angle que je voudrais insister en tant Procureur de la Cour pénale internationale.
Distingués Professeurs, Chers Collègues,
Mesdames et Messieurs les invités,
Le principe de souveraineté a marqué les discussions préexistantes même à la création de la Cour pénale internationale.
Je pense ici aux développements extraordinaires du Livre II, Chapitre 20 de Hugo Grotius, dont l’autorité fut plusieurs fois invoquée au procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal Militaire international. Il écrivait ceci : « il faut savoir encore que les Rois et en général tous les souverains ont droit de punir, non seulement les injures faites à eux ou à leurs sujets, mais encore celles qui ne les regardent point en particulier, lorsqu’elles renferment une violation énorme du droit de la nature ou celui des gens envers qui que ce soit».
Grotius indiquait que « le souverain et les détenteurs de la puissance souveraine ont le droit d’appliquer des châtiments non seulement pour les délits dont eux-mêmes ou leurs sujets sont victimes, mais aussi pour des violations flagrantes du droit naturel et du droit des gens commises au détriment d’autres Etats ou de leurs sujets ».
Cette conception est élaborée par les légistes qui ressuscitent la vieille notion romaine de souveraineté qui a été reprise dans beaucoup de travaux scientifiques majeurs.
C’est pourquoi, il me vient à cet instant de remémorer la contribution significative du Professeur Henri Donnedieu de Vabres dont la pensée de son Livre sur « Les principes modernes du droit pénal international » a été très remarquée dans les travaux de la Commission pour le développement progressif du droit international et sa codification créée par la Résolution 94(I) du 11 décembre 1946 de l’assemblée générale de l’ONU.
Tous ces développements ont profondément inspiré les travaux de la Commission du Droit International, qui vont conduire à l’élaboration et à l’adoption de la Convention de Rome du 17 juillet 1998 portant Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Cher Alain, Il me revient de vous rendre hommage pour vos excellentes contributions en votre ancienne qualité de Président de la Commission du droit international. Je parle donc sous votre contrôle.
Nous le savons, la mise en application des Statuts des tribunaux ad hoc de l’Ex-Yougoslavie et du Rwanda pouvait conduire au dessaisissement de la compétence pénale nationale – parce que ces tribunaux ont primauté de juridiction sur le juge national. Le Statut de Rome quant à lui suit une autre logique juridique. Il consacre d’une certaine façon la revitalisation de la souveraineté pénale de l’Etat qu’il place au cœur du système:
- L’Etat détient le monopole de la production de la norme juridique qu’est le Statut de Rome qui procède d’un processus conventionnel.
- L’Etat est omniprésent dans la coopération et l’assistance judiciaire qui interpellent le recours aux pouvoirs régaliens de l’Etat. Ce dernier est tenu d’une obligation de coopérer avec la Cour, qui s’exerce suivant les conditions consenties souverainement au travers de son adhésion au Statut et d’accord de coopération négocié avec la Cour.
- L’État détient et conserve sur son territoire le monopole de la juridiction et sa souveraineté pénale. Il détient une compétence première en la matière. Ses tribunaux ont une compétence naturelle pour connaître des crimes qui auraient été commis sur son territoire. La Cour ne dispose que d’une compétence par défaut qui s’exerce seulement quand l’Etat souverain n’a pas la volonté ou se trouve dans l’incapacité de juger les auteurs de ces crimes.
Je souhaite vous exposer ma vision sur la manière par laquelle nous pourrions continuer à lutter efficacement contre l’impunité, ou à réduire le fossé de l’impunité, d’une façon propre à concilier trois éléments majeurs :
- l’effectivité de la souveraineté pénale,
- la revitalisation de la coopération judiciaire et la solidarité internationales,
- et l’exigence du maintien de l’ordre public par le droit pénal.
Permettez-moi maintenant de continuer en anglais.
It is in the aforementioned context that I wish to share with you some considerations on the policies of my Office on the investigation and prosecution of Rome Statute crimes, including through the encouragement and strengthening of national proceedings.
While the ICC has by now matured into a well-functioning and respected institution, with ten situations under investigation, four final judgements issued, three trials ongoing at advanced stages and two more cases on appeal, one could consider that the success of the Court is not only measured through the number of cases successfully concluded, or, at least, not exclusively.
Indeed, its achievements – or perhaps: that of the Rome Statute system of international criminal justice – may well-be appraised by the existence of positive and dynamic functioning national jurisdictions.
The Office has since its inception, developed a strategy aimed at encouraging and assisting State authorities to exercise their sovereign and primary responsibility, when and where appropriate and possible. This strategy has been further fine-tuned over time.
The Office’s preliminary examinations are perhaps best suited, or, at least, the first opportunity to advance complementarity.
My Office is currently conducting such preliminary examinations in ten different situations, across four continents: in Afghanistan, Colombia, Palestine, Nigeria, Ukraine, Comoros Islands, Burundi, Guinea, Gabon and over the UK forces in Iraq. We hope to reach finality on some of these preliminary examinations this year.
In some of these situations there is indeed good prospect to foster action at the national level.
The situation of Guinea is a clear example of the impact of the Office’s preliminary examinations activities in triggering national proceedings in accordance with the Rome Statute concerning the alleged incidents that took place on 28 September 2009 in Conakry.
The efforts at the national level to investigate and prosecute those responsible for the alleged crimes against humanity, in the form of killings and rapes and other acts, deserve encouragement and support.
My Office has worked, in a dynamic manner, with actors at the national level, partners in the region, and representatives from the UN system, to mobilise efforts to achieve tangible results in the form of national proceedings.
Moreover, even after the initiation of an investigation by my Office, opportunities for a complementary action continue. The Rome Statute’s cooperation regime allows my Office to provide assistance to a State Party conducting an investigation into or a trial in respect of a crime within the jurisdiction of the ICC or which constitutes a serious crime under the national law of the requesting State.
My Office is increasingly receiving such requests for assistance and we endeavour to respond as much as possible favourably. In this sense, cooperation under the Rome Statute is very much a two-way-street.
To avoid an impunity gap, a greater harmonisation and more collaborative efforts are necessary, and my Office is doing its part to contribute to putting the right actors together, including judicial authorities and law enforcement agencies.
The development with partners of a coordinated investigative and prosecutorial strategy is in fact a key strategic goal identified by my Office in its Strategic Plan for 2016-2018.
As such, and whilst continuing to perform its core functions with the highest standards of quality and efficiency, my Office aims to share more information and evidence to place relevant States in a position to effectively conduct an investigation or prosecution. We also contribute to existing coordination platforms such as Eurojust and share with partners the spin-offs of our work, so they may reap the fruits of our labour too.
The promulgation of various policy papers by my Office is another example of how we may encourage the development of national legislation on specific topics that emerge from our experience in the field of criminal justice.
My Office has begun to develop a comprehensive policy on how best to investigate and prosecute crimes against cultural property within the Rome Statute framework, with a view to contributing to efforts to close the impunity gap for such crimes. I see in the draft programme of this Colloquium that this topic was fully taken into consideration in the agenda. This confirms the relevancy of our decision to strengthen the law based on our experience in the Al Mahdi case which is the first case at the ICC about the protection of cultural property.
I consider such policy work critically important, as I feel that the ICC, through the Rome Statute legal framework, is uniquely placed to consider and address particular crimes and serve as an example or as a helpful partner for other actors at the international, regional and national levels in their efforts to address these very serious crimes.
In the conduct of my Office’s core functions, I have vowed, from as early as my inaugural statement, to strengthen and prioritise the investigation and prosecution of sexual and gender-based crimes as well as crimes against children – crimes that are often under-reported in situations of conflict, and have a devastating effect on our societies, hitting hard those most vulnerable. As such, to give a meaning to the importance I attach to these issues, my Office issued a Policy Paper on Sexual and Gender-based Crimes in 2014, and a Policy Paper on Children in 2016.
As part of the Policy Paper on Sexual and Gender-based Crimes, we have committed to integrating a gender perspective and gender analysis into all areas of our work, starting from preliminary examinations, to prosecutions and eventually reparations proceedings.
The Policy on Children highlights the severity of atrocity crimes against and affecting children and will assist my Office in its efforts to robustly address these crimes in accordance with the Rome Statute. An important feature of that Policy is that it further reinforces the Office’s child-sensitive approach, one that is respectful of the rights of children as recognised in the Convention on the Rights of the Child (1989).
It is our hope that those policies will also serve as a guide for States and other relevant actors as they work towards combatting sexual and gender-based crimes and crimes against children more effectively. Our policy may assist national jurisdictions as a useful reference document in their efforts to adopt, formulate or amend domestic legislation and refine their practices where deemed necessary.
To sum up, I would indeed like to emphasise the collaborative aspect of the Rome Statute.
Ending impunity for atrocity crimes is not the preserve of any one institution. Creating a culture of accountability is a common interest and requires common efforts. While sovereign States remain the first bulwark in this fight, there’s a wealth of partners available to move the system of international criminal justice forward.
Chief Prosecutor of the Einsatzgruppen trial at Nuremberg, Mr. Ben Ferencz, recently said when visiting the ICC: ‘The world has not yet learned that law is better than war. Law, not war, is the answer. Law continues to be humanity’s hope for a more just and peaceful world.’
And that’s the truth, as I’m sure all brilliant legal minds can attest to.
Distingués Professeurs, Chers Collègues, Mesdames et Messieurs, je vous remercie une fois de plus pour votre aimable attention.