Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général
ACHILLE MESTRE
(1874-1960)
Né le 22 juillet 1874 à Toulouse, Achille Mestre fait la charnière entre la doctrine classique et la doctrine moderne. « Juriste musicien » (M. Waline) et « fourmillant d’idées » (F. Melleray), le professeur Mestre préférait la proximité des étudiants dans l’amphithéâtre ou la pédagogie de la presse pour faire connaître le droit au grand public plutôt que l’écriture de sommes ou traités. Il a commenté de nombreuses décisions de justice dans les quatre parties du recueil Sirey et occasionnellement dans les colonnes du quotidien Le Figaro, sans laisser d’œuvre systématique. Il aimait la brièveté et avait l’art de faire du droit comme de la musique, lançant des idées comme un chef d’orchestre livre une mélodie pour permettre à ses musiciens (étudiants) d’en capter le sens et d’éclore en soliste.
Une carrière entre Toulouse et Paris
Ami de Joseph Barthélémy, aussi bien à la ville qu’en classe, Achille Mestre baigne très jeune dans un univers scientifique. Il rencontre très tôt le doyen Hauriou à qui il sera fidèle tout au long de sa carrière universitaire. En 1893, il entre à la Faculté de droit de Toulouse d’où il sortira licencié. Il monte sur Paris où il obtient son doctorat après la soutenance de deux thèses sous la direction des professeurs Henri Berthélémy (De l’autorité compétente pour déclarer l’Etat débiteur) et Fernand Larnaude (Les personnes morales et le problème de leur responsabilité pénale).
Agrégé de droit public de 1899, il effectue un bref passage à la Faculté de droit de Lille (1899-1900) avant de revenir dans sa ville natale où il obtient les chaires de droit administratif et de législation financière. Il présente alors la particularité d’enseigner sous le décanat de Maurice Hauriou et de présider la thèse du fils de l’illustre doyen, André Hauriou, sur un sujet qu’il affectionne, le rôle de l’Etat dans l’utilisation de l’énergie hydraulique. Il s’investit largement au sein de la faculté de Toulouse, en prenant en charge le secrétariat du Recueil de législation de Toulouse. En 1922, Mestre mute à la Faculté de droit de Paris, où il va former de nombreux étudiants, dont Jean Rivero et Marcel Waline. Les qualités de pédagogue du professeur Mestre sont très largement saluées.
Un juriste à la frontière des disciplines
Homme de son temps, le professeur Mestre affectionne la Belle époque et ses avancées technologiques, notamment la maîtrise de l’énergie et la découverte de la fée électricité, qui contribuent à l’évolution de la société (« La radiophonie. Paroles d’espoir », Quotidien Le Figaro, édition du 15 septembre 1931). En tant que juriste, sa méthode consiste dans l’étude des cas concrets ayant provoqué un contentieux, aussi bien judiciaire qu’administratif, reflétant ainsi sa curiosité pour des problèmes dépassant le clivage traditionnel du droit public et du droit privé. Ainsi, il se situe constamment à la charnière de disciplines nécessitant le traitement transversal des thèmes analysés.
Spécialiste de droit administratif, ses idées bouillonnantes l’ont conduit à envisager ce droit sous un angle résolument moderne en s’attachant au régime juridique des énergies nouvelles. Cette curiosité intellectuelle le fera glisser du droit administratif au droit international. En effet, l’époque voit l’apparition de traités internationaux réglementant l’utilisation de l’énergie hydraulique et de l’électricité. Il présente les conventions internationales sur le transport de l’énergie en transit et sur l’aménagement des forces hydrauliques dans un article au Journal de droit international (« L’énergie électrique et la Société des Nations »). Il s’intéresse aussi à l’application des traités en droit interne, question qu’il aborde dans le cadre d’un cours à l’Académie de La Haye. S’ensuivra une collaboration avec les professeurs internationalistes Louis Le Fur et Georges Scelle au sujet de la question des sanctions internationales (« Les sanctions internationales : trois opinions de juristes », Paris, P. Hartmann, 1936, 53 p.).
L’interaction des systèmes juridiques
Ce n’est pas le droit international à proprement parler qui intéresse le professeur Mestre, mais l’interaction des systèmes juridiques dans la gestion des activités économiques. Fidèle à l’œuvre du doyen Hauriou, le professeur Mestre précise et développe la notion d’institution. Il rapproche les doyens Duguit et Hauriou dans la lutte contre les positivistes confondant Droit et Loi, tout en réfutant, pour excès d’idéalisme, la thèse d’un droit civil objectif développée par le doyen Duguit.
Le professeur Mestre favorise l’émergence du courant dualiste, c’est-à-dire la séparation de systèmes juridiques autour de causes propres. Il lutte contre la soumission d’un ensemble de règles à un autre sur le fondement soit d’une fonction sociale, soit d’une puissance absolue. Dès lors, il envisage le droit sous un aspect interactif, les ensembles coexistant et entrant en collision. Et c’est cette collision qui demeure source d’intérêt pour le juriste. Il n’existe aucun droit absolu, mais il doit ressortir, dans l’application de tout droit et de tout régime juridique, un « principe de justice essentiel » tendant à réprimer les « actes dommageables et fautifs ».
Dans cette perspective, il fut co-auteur d’un ouvrage relatif aux aspects juridiques des paiements internationaux en France, Angleterre, Allemagne. Il dirigea également plusieurs thèses témoignant de son intérêt pour la comparaison des systèmes juridiques, notamment celles de M. André De Staercke, De la Création d’un conseil d’État en Belgique, ou de M. Maurice Laviron, La Constitution de la province de Québec dans lesquelles l’on peut lire des pages entières consacrées à la recherche des causes des systèmes juridiques.
Pragmatique, empirique et concis, le professeur Mestre a permis de faire comprendre les mutations contemporaines du monde en refusant tout dogmatisme et ainsi favoriser l’entrée du juriste dans l’ère de la globalisation (ou mondialisation) pour laquelle le droit international joue un rôle évidemment essentiel. Il s’éteint en décembre 1960.
Arnaud DEFLOU
Chargé de travaux dirigés à l’Université de Nantes
Sources : D. Labetoulle, « Remarques sur l’élaboration des décisions du Conseil d’Etat statuant au contentieux », Mélanges René Chapus, Montchrestien, 1992, p. 336 ; G. Maleville, Conseiller d’Etat, Paris, Litec, 1979, p. 8 ; F. Melleray, « Achille Mestre ou les débuts du droit administratif moderne », Mélanges Jacqueline Morand-Deviller, Confluences, Paris, Montchrestien, 2007, 968 p. (pp. 443-455) ; J. Rivero, « Achille Mestre », RDP, 1960, pp. 1133-1136 (éloge funèbre prononcée le 13 décembre 1960); M. Waline, « Le concours d’agrégation des Facultés de droit dans les années 1924-1925 », Mélanges Louis Trotabas, Paris, LGDJ, 1970, pp. 21-28 ;.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Thèses
Thèse sous la direction du professeur H. Berthélémy : De l’autorité compétente pour déclarer l’Etat débiteur, Paris, A. Rousseau, 1899, 122 p., compte rendu publié « Du principe en vertu duquel l’administration seule est compétente pour déclarer l’Etat débiteur », Rev. gén. d’Adm., 1899, II, pp. 257-272.
Thèse sous la direction du professeur F. Larnaude : Les personnes morales et le problème de leur responsabilité pénale, Paris, A. Rousseau, 1899, 360 p.
Ouvrages
Propriétaires et compagnie de distribution d’énergies électriques, Paris, Sirey, 1925, 60 p.
La clause-or en droit français : étude juridique, (co-écrit avec E. James), Paris, Nouvelle librairie nationale, 1926, 177 p.
La théorie du dommage direct, son application aux dommages de guerre en matière agricole, Paris, Sirey, 1927, 54 p., préface de F. Larnaude.
La jurisprudence de la houille blanche, Paris, Sirey, 1928, 84 p.
Quelques aspects juridiques de paiements internationaux en France, Angleterre, Allemagne (coécrit avec A. Zeiler et E. R. Caudron), Paris, Sirey, 1934, 69 p.
L’abaissement des prix de l’énergie électrique (décrets-lois des 16 juillet et 30 octobre 1935), Paris, Sirey, 1936, 171 p. ; 2ème éd., 1939, 171 p.
Les sanctions internationales : trois opinions de juristes (co-écrit avec L. Le Fur et G. Scelle), Paris, P. Hartmann, 1936, 53 p.
Cours
« Les traités et le droit interne », RCADI, 1931, t. 38, pp. 233-306
« Répétitions écrites de matières administratives », DES de droit privé, 1932-33, Les cours de droit, 144 p.
Articles
« L’évolution du droit administratif (doctrine) de 1869 à 1919 », Bulletin de la société de législation comparée, 1922, pp. 247-271
« L’énergie électrique et la Société des Nations », JDI, 1925, pp. 24-28
« Recherches sur l’exception d’illégalité », Mélanges Maurice Hauriou, Paris, Sirey, 1929, pp. 567-598
Hommage
L’évolution du droit public. Études offertes à Achille Mestre, Paris, Sirey, 1956, 574 p.