Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général
MARCEL MERLE
(1923-2003)
Si le silence des juristes accueillit l’œuvre de Raymond Aron et amorça entre droit international public et relations internationales une ère « d’ignorance réciproque » (J.-P. Cot) propre à la France, il en alla autrement de celle de son « principal contradicteur » (D. Battistella), Marcel Merle.
Un sociologue des relations internationales écouté par les juristes
C’est qu’à la différence de Aron, Merle entendait le droit et sut par là se faire entendre de ses spécialistes même après avoir rejoint la sociologie des relations internationales qu’il contribua à acclimater en France, libre de tout agenda politique. Diplômé de l’Ecole libre des sciences politiques, auteur d’une thèse de droit qui eut un certain écho (Le procès de Nuremberg et le châtiment des grands criminels de guerre, Pedone, 1949, épuisé), agrégé, major, des Facultés de droit (1950), il partagea sa carrière entre l’université (notamment Bordeaux de 1950 à 1967, la Faculté de droit de Paris puis l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne de 1970 à 1989) et les instituts d’études politiques de province et de Paris.
Son apport à la sociologie française des relations internationales, prolongé par des auteurs comme B. Badie et M.-C. Smouts, est connu : rupture radicale avec le dualisme stato-centré de Aron articulé autour de l’opposition du système international (interétatique) et de la société transnationale ; rejet des écoles de pensée qui embrigadent l’observateur ; préférence marquée pour une approche empirique, socio-descriptive des relations internationales et du jeu de la pluralité de leurs acteurs ; choix d’une « hypothèse de travail » très englobante : les relations internationales, entendues comme « l’ensemble des transactions ou des flux qui traversent les frontières ou même qui tendent à traverser les frontières » forment entre les principaux acteurs « que sont les Etats, les organisations internationales et les forces transnationales » un système (v. D. Battistella, 2012, p. 705) ; attachement revendiqué au systémisme (Sociologie des relations internationales).
Positionnement intellectuel de l’universitaire et engagement personnel du catholique social (J. Leca) se conjuguèrent dans l’abondance des travaux consacrés au facteur religieux dans les relations internationales, aux églises chrétiennes, au pacifisme, à la décolonisation et dans de nombreuses publications dans la revue Etudes.
Son inclination vers la classification, assortie d’une « ébauche d’interprétation », plutôt que vers la conceptualisation de la sociologie des relations internationales permit sans doute à M. Merle de conserver dans le même temps une audience parmi les juristes. Il eut des élèves parmi les juristes (M. Bettati, A. Pellet) et ce fut encore un juriste, R.-J. Dupuy, qui signa le portrait inaugural des Mélanges en son honneur.
Des apports aux internationalistes
De ce que M. Merle pouvait apporter à ses contemporains, juristes, quelques publications majeures donnent un aperçu.
De la Sociologie des relations internationales, plusieurs fois rééditée, ressort une invitation insistante à considérer les faits qui n’ont pas encore trouvé d’expression juridique précise, les acteurs qui ne sont pas des sujets de droit, en particulier les ONG auxquelles il consacra des travaux et des enseignements nombreux, et le rôle des acteurs qui possèdent cette qualité.
La méthode préconisée s’offre aussi, logiquement, d’éclairer les facteurs de changement et de (non) respect du droit. Le Cours dispensé à La Haye se proposait ainsi de mettre en rapport le droit international dans son ensemble « avec une donnée qui est, par définition, tout à fait extérieure et étrangère au droit : l’opinion publique » (p. 377). Cette interpellation de « l’opinion publique internationale pour lui demander comment elle conçoit et comment elle pose les problèmes du droit international » (p. 384) dispensait de définir a priori le droit international et autorisait l’auteur à entamer une classification des postures de l’opinion « organisée » et « inorganisée » à l’égard de ce corps de règles et d’institutions. Quelques années plus tard, M. Merle donna cependant du droit international une belle définition dans le même cénacle : « (Le droit international) constitue un ‘signe’ par lequel les auteurs des règles de droit – qui restent principalement les Etats – manifestent leur capacité de compréhension mutuelle, leur décision, leur désir ou refus de coopération et leur degré d’acceptation d’un minimum de discipline commune. Bref, la production des normes est un critère et un test de la solidarité internationale » (« Le point de vue du politologue », p. 39).
L’effacement de la frontière entre la société et l’Etat ou l’aire des relations transnationales et celle des relations internationales fait écho à l’abolition de la frontière entre politique étrangère et politique intérieure envisagée dans La politique étrangère.
Ces considérations, les spécialistes du droit international se les sont progressivement appropriées. La présence de Marcel Merle parmi eux rappelle que ce qui échappe (encore) à la régulation juridique par le droit international ne doit pas nécessairement pour cela échapper au regard du juriste, sauf à ce que son propre objet se dessèche ou se déforme.
Évelyne LAGRANGE Professeur de droit publicEcole de droit de la Sorbonne – IREDIES Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Sources : Les relations internationales à l’épreuve de la science politique : Mélanges Marcel Merle, Economica, 1993, 403 p. (avec un recensement systématique des publications jusqu’en 1993) ; D. Battistella, Théorie des relations internationales, 4ème éd., Sciences Po-Les Presses, 4ème éd., 2012, pp. 702-718 ; D. Battistella, « Chapitre 8. La France », in T. Balzacq, F. Ramel, Traité de relations internationales, Sciences Po-Les Presses, 2013, pp. 157-179 ; J. Leca, « Hommage à Marcel Merle »
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
La vie internationale, A. Colin, Collection U, Paris, 1963
Pacifisme et internationalisme, A. Colin, 1966
L’anticolonialisme européen de Las Casas à Karl Marx, textes choisis et présentés par M. Merle, Colin, Paris, 1969
Sociologie des relations internationales, Dalloz, Paris, 1974 (plusieurs éditions suivront ; l’ouvrage sera traduit en plusieurs langues)
Forces et enjeux dans les relations internationales, Economica, Paris, 1981
La politique étrangère, PUF, Perspectives internationales, 1ère éd., Paris, 1984
Les acteurs dans les relations internationales, Economica, Paris, 1986
La crise du Golfe et le nouvel ordre international, Economica, Paris, 1991
Cours
« Le droit international et l’opinion publique », RCADI, t. 138, 1973, pp. 373-412
Articles
« L’accord franco-allemand du 23 octobre 1954 sur le statut de la Sarre », AFDI, 1955, pp. 128-133
« Le pouvoir réglementaire des institutions internationales », AFDI, 1958, pp. 341-360
« Les plébiscites organisés par les Nations Unies », AFDI, 1961, pp. 425-445
« Le système mondial : réalité et crise », Politique étrangère, vol. 43, 1978, n° 5, pp. 491-504
« Le procès Barbie ou la fin du droit de la guerre ? », Etudes, novembre 1987, pp. 459-468
« Le concept de transnationalité », in Humanité et droit international : Mélanges René-Jean Dupuy, Pedone, 1991, pp. 223-231 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)
« Un système international sans territoire ? », Cultures et conflits, n° 21-22, 1996, pp. 289-309
« Article 71 », in J.-P. Cot, A.Pellet, M. Forteau, La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, 3e éd., t. II, Paris, Économica, 2005, pp. 1729-1738 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Économica)
Hommage
Les relations internationales à l’épreuve de la science politique : Mélanges Marcel Merle, Économica, 1993, 403 p.