Photo : Académie de droit international de La Haye (avec l'aimable autorisation du Secrétaire général)
LAZARE KOPELMANAS
(1907-1980)
Né le 1er juillet 1907 à Kaunas en Lituanie, Lazare Kopelmanas est généralement présenté comme l’un des élèves de Georges Scelle, bien que ce dernier ne soit pas connu pour ses travaux ou son influence sur le droit du commerce international, domaine dans lequel Kopelmanas s’est particulièrement illustré. Il est possible de regretter la méconnaissance de ses écrits qui « se caractérisent par une grande rigueur méthodologique et une profonde originalité de pensée » (Ch. Rousseau).
La naissance de sa méthodologie réaliste : l’influence de Scelle
Rencontré pendant ses études parisiennes dans les années trente, Scelle a joué pour Kopelmanas un rôle déterminant dans le choix de sa méthodologie. Le pragmatisme de l’objectivisme sociologique scellien, loin d’être utopique, permet d’adapter le droit positif à la réalité, ainsi que Kopelmanas l’écrira au Clunet en 1961 au lendemain de la disparition de son maître. Nouvellement maître de conférences puis professeur à l’Institut des hautes études internationales à partir de 1936, il applique rigoureusement cette méthode dans divers articles. Abordant la question des sources en droit international, du recours à la force ou encore des rapports entre droit interne et droit international, chacune de ses contributions est imprégnée d’une nette volonté de ne recourir à « aucune construction artificielle » qui reposerait sur des postulats « plus ou moins invérifiables ». Kopelmanas s’attache rigoureusement à « renvers[er] par les faits » de célèbres théories, logiquement « impeccables », néanmoins éloignées de la réalité (« Du conflit entre le traité international… », p. 90).
C’est ainsi qu’il rédige sa thèse lors de sa détention dans le camp de prisonnier de guerre VIIA à Moosburg (Allemagne), entre 1941 et 1944. Affecté au service interne de l’hôpital du camp en raison de ses compétences linguistiques qui lui permettront de survivre en enseignant des langues étrangères aux officiers de la Wehrmacht, sa thèse dirigée par Scelle porte sur « l’ordre juridique déterminant les autorités compétentes pour conclure les traités ». Ce travail, récompensé en 1946, propose une synthèse remarquable des théories doctrinales relatives à une question qui occupera les rédacteurs de l’article 46 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 : la méconnaissance, par un Etat, de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités peut-elle être opposée à l’autre partie comme viciant son consentement ?
La réponse à cette question est celle qu’il oppose généralement à la doctrine dans ses travaux : les théories générales doivent être écartées en ce qu’elles ne sont pas en mesure d’« être conforme aux solutions, à toutes les solutions, du droit positif » (il souligne). L’impossibilité de répondre à cette exigence est imputée à l’imperfection de l’organisation de la société internationale, à son caractère « rudimentaire ». Le juriste devrait alors participer au développement du droit international afin que celui-ci puisse atteindre le degré de perfectionnement nécessaire à une telle théorisation.
De la théorie à l’action : le développement du droit économique international
La fin de la Seconde Guerre mondiale marque une nouvelle rupture dans la vie de Kopelmanas. Jusqu’alors universitaire, il gagne une place importante sur la scène internationale à partir de 1948 : il représente la France aux côtés de Scelle en l’affaire Conditions de l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies (1948), devient membre du Comité français de droit international privé en 1951 et est nommé à plusieurs reprises comme arbitre dans diverses affaires commerciales. Son influence est la plus manifeste dans l’exercice de ses fonctions de conseiller juridique auprès de la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies jusqu’en 1961 et de l’Office des Nations Unies à Genève jusqu’en 1977 concernant les aspects juridiques du commerce et des transferts de technologie.
Ce rôle d’expert-conseil aux Nations Unies dans une matière jusqu’ici étrangère à ses écrits se situe néanmoins dans la continuité de la méthode prescrite dans ses articles : Kopelmanas estime participer au développement du droit international en se plaçant « tout proche des faits » et en adaptant ce droit aux « réalités de la vie » afin de les « régir effectivement ». C’est ainsi qu’il défend la pertinence de la Convention européenne sur l’arbitrage international du 21 avril 1961 ainsi que des conditions générales pour la fourniture à l’exportation des matériels d’équipement de 1953 élaborées par la Commission économique pour l’Europe. Le premier de ces textes représente d’ailleurs « l’œuvre inoubliable de Lazare Kopelmanas » qui a su, en tant que Secrétaire de la Conférence, « ramene[r] les négociations dans des eaux plus calmes en obtenant ce qui était possible compte tenu des circonstances » (O. Glossner). Ces efforts ont offert, selon Kopelmanas, un cadre aux relations économiques d’une Europe divisée par la Guerre froide et deux politiques économiques divergentes à réconcilier (économie planifiée et économie libérale).
Une vie tournée vers la réalisation du droit international
Le jour où Lazare Kopelmanas exposait son rapport au Premier Congrès d’Etudes Internationales organisé le 7 octobre 1937, il affirmait que les juristes étaient investis d’une mission : celle de participer à la « réalisation du droit international ». Défendant la nécessité de développer des moyens permettant d’assurer l’exécution directe du droit international et ainsi de répondre aux besoins des individus composant la société internationale, Kopelmanas estimait que la doctrine « pourrait utilement apporter sa contribution à l’organisation de la vie internationale des individus en déterminant, par des études précises, le point de savoir quelles sont les branches de l’activité humaine dont la réalisation effective au moyen du droit international pourrait donner des résultats pratiques » (« La réalisation du droit international », p. 412). Ce bref aperçu de la vie de Lazare Kopelmanas ainsi que les dernières années de sa vie en tant que Conseiller technique de la Commission de l’arbitrage de la Chambre de commerce internationale et de conseiller auprès de l’Etude Lalive et Budin semblent répondre tout entier à cette maxime exposée en 1937.
Jean-Baptiste DUDANT
Doctorant contractuel à l’Université Paris II Panthéon-Assas (IHEI)
Sources : Liste officielle n° 92 de prisonniers français d’après les renseignements fournis par l’Autorité militaire allemande, Centre National d’Information sur les prisonniers de guerre (1941), p. 33 ; Note de l’hôpital du Stalag VII A (1943) ; Note bibliographique de Ch. Rousseau in Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, t. 64 (1948), pp. 315-316 ; Conditions de l’admission d’un Etat comme membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), Avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 28 mai 1948, mémoires, plaidoiries et documents, séances publiques des 22, 23 et 24 avril 1948, p. 36 ; Notice biographique, in RCADI, t. 150 (1976), p. 298 ; Ch. Rousseau, « In memoriam Lazare Kopelmanas », RGDIP, vol. 85 (1981/1), p. 248 (mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone) ; L. Costet, « In memoriam Lazare Kopelmanas », Droit et pratique du commerce international, vol. 7(1) (1981), pp. 5-6 ; O. Glossner, « De New York (1958) à Genève (1961) – journal d’un vétéran », dans L’exécution des sentences arbitrales en vertu de la Convention de New York, Expérience et perspectives (1999), p. 8 ; D. Riché, « Retour sur la distinction entre sources matérielles et formelles du droit international chez Georges Scelle, Lazare Kopelmanas et Sir Gerald Fitzmaurice », Grandes pages du droit international, Volume II, Les sources, Pedone, 2016, pp. 409-444 ; « Competition and Cooperation in International Commercial Arbitration : The Birth of a Transnational Legal Profession », Law & Society Review, vol. 51(4), pp. 790-824 ; J.-B. Dudant, « Kopelmanas et sa théorie réaliste des rapports d’ordre : une brève histoire de déconstruction des postulats des théories classiques », Grandes pages du droit international, Volume VIII, Les rapports de systèmes (à paraître)
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Thèse
De l’ordre juridique déterminant les autorités compétentes pour conclure les traités internationaux, Thèse, Paris, Dactylographié, 1945, 156 p.
Ouvrage
L’Organisation des Nations Unies. I. L’organisation constitutionnelle des Nations Unies. Ier fascicule. Les Sources constitutionnelles de l’ONU, Paris, Recueil Sirey, 1947, 327 p.
Cours
« Le contrôle international », RCADI, La Haye, t. 77, 1950, pp. 55-150
« L’adaptation des règles juridiques du commerce international aux relations particulières entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement », Droit économique, Cours réalisé à l’IHEI, Paris, Pedone, 1978, pp. 133-157 (cours mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)
Articles
« L’article XI du Pacte de la SdN », RGDIP, 1935, pp. 559-639
« The Problem of Aggression and the Prevention of War », AJIL, vol. 31(2), 1937, pp. 244-257
« Du conflit entre le traité international et la loi interne », RDILC, Vol. 18 (1937), pp. 88-143 (n° 1) et pp. 310-361 (n° 2)
« La pensée de Georges Scelle et ses possibilités d’application à quelques problèmes récents de droit international », JDI (Clunet), vol. 88, n°2, 1961, pp. 350-375
« L’arbitrage dans les rapports commerciaux Est-Ouest, Annales de la Faculté de Droit de Liège, 1964, pp. 129-140
« Le rôle de l’expertise dans l’arbitrage commercial international », Rev. Arb., 1979, pp. 205-216
Rapports, communications
« La réalisation du droit international », Premier congrès d’études internationales (30 sept. –7 oct. 1937), Editions internationales, 1938, Paris, pp. 401-422
« La reconnaissance en droit international », Comunicazioni e studi, vo. IX, rapport produit devant l’Istituto di diritto e politica internazionale, Milan, Giuffré, 1957, pp. 3-45
« Technique des traités de commerce entre les pays à prédominance d’économie privée et les pays à économie planifiée », Les Aspects juridiques du commerce entre les pays d’économie planifiée et les pays d’économie libre, compte-rendu du colloque de l’Association internationale des sciences juridiques (Rome, 24 février-1er mars 1958), Paris, LGDJ, 1961, pp. 132-141